mardi 5 août 2008

Le Tarzan des arabes en v.o

Dans le triste ciel cinématographique maghrébin, un OVNI hilarant, populaire, sans prétention, est entrain de faire son chemin. Cet OVNI est tunisien, de Sousse précisément et vient bousculer l'ordre établi d'un cinéma subventionné qui s'est détourné de son public d'origine, uniquement obnubilé par la reconnaissance des critiques occidentaux. Certains de nos cinéastes qui ne cessent de se lamenter sur l'absence de moyens et l'indifférence des pouvoirs pour la culture feraient bien de regarder du côté de Sousse. Là-bas, pas très loin de chez nous, le « Tarzan des arabes » est arrivé. Il s'appelle de son vrai nom Moncef Kahloucha et il est peintre en bâtiment, il est fou de cinéma et il tourne des films. Avec les maigres moyens du bord. Moncef Kahloucha n'a aucune prétention intellectuelle et possède comme seul viatique la culture cinématographique des cinémas populaires, il est seulement mais puissamment habité par une passion enfantine et dévorante pour le cinéma. Il aime se projeter dans les mondes de héros campés par ses modèles : Clint Eastwood, Lee Van Cleef, Belmondo, Delon… Avec deux compères, un vidéaste de mariage et un monteur qui gagne sa vie dans une usine de confection, il mobilise les gens de son quartier, celui de Kazmet, à Sousse, où comme ailleurs presque tout le monde veut partir, ici vers l'Italie en l'occurrence. Il réinvente dans la dérision mais très sérieusement, les classiques du cinéma populaire et les gens du quartier s'amusent, tout aussi sérieusement, dans des scénarios convenus mais naturellement décalés ou une belle héroïne terrasse de redoutables méchants plus vrais que nature. Il faut voir le dépit, sincère, de seconds rôles du « Tarzan des arabes », déçus que leurs noms aient été oubliés ou omis dans la belle affiche du film. C'est cet enfant du peuple faisant son cinéma avec une antique caméra VHS que Nejib Belkadhi raconte avec une infinie tendresse dans son documentaire « VHS Kahloucha ». Le documentaire, de belle tenue, fait son chemin et glane des prix un peu partout. Il doit beaucoup à l'authenticité de Moncef Kahloucha, cinéaste amateur, habité, le mot n'est pas trop fort, d'une passion authentique pour le cinéma, qui n'attend personne pour réaliser ses rêves, se débrouille comme il peut. Le plus exceptionnel est la contagion qu'il provoque dans son quartier populaire de Kazmet. Comme partout au Maghreb bloqué, les hommes et femmes vivent séparés, les jeunes s'ennuient et se saoulent à l'ombre des oliviers… Dans une scène absolument loufoque, un homme s'oppose à ce que sa femme joue dans le film dans lequel il joue lui-même… La femme finira par prendre le dessus, elle jouera malgré tout… Il y a dans ce film documentaire sur Kahloucha une extraordinaire puissance : celle d'une verve populaire qui se moque de tout et d'elle-même. Qui sait rire mêmes des choses les plus graves. Dans la vie terne et sans perspectives des quartiers populaires, les gens s'inventent des chemins de traverse pour sortir de l'ennui, imaginer d'autres univers moins étouffants ou le rire et la joie de vivre seraient possibles. Dans le néant sidéral des régimes autoritaires, cet ovni est la preuve vivante des ressources de créativité de gens modestes sans autre soutien que leur passion. Espérons que Moncef Kahloucha en avançant dans l'art qu'il a pris à l'abordage suscite des émules dans le Maghreb du vide.