vendredi 25 mars 2011

NO FLY ZONE ET NO LIFE ZONE

par K. Selim

Sur Ghaza, c'est la no life zone. Personne ne s'en soucie, alors que depuis plus des décennies, des Palestiniens sont en révolution contre le régime en place, celui du racisme et de l'occupation coloniale. A l'heure où la chaîne Al Jazira, dans une mutation remarquable, nous présente l'Otan comme une angélique organisation armée de défense des droits de l'homme, il est utile de le rappeler.

En espérant qu'on ne sera pas accusés d'être les défenseurs de l'affreux dictateur de Tripoli ou de ses semblables ailleurs dans le monde arabe. Mais, sur la Libye, à moins de faire l'aveugle, les opérations occidentales sont meurtrières et le seront de plus en plus, à mesure qu'il devient patent que l'insurrection n'a pas le moyen d'inverser le rapport de force militaire au sol.

La résolution 1973 du Conseil de sécurité, rendue possible par la Ligue arabe, ne donne pas aux Occidentaux le mandat de détruire le régime de Kadhafi. Il faut le rappeler clairement. C'est pourtant bien le but des Occidentaux. Or, les défections au sein de l'armée loyale à Kadhafi se sont taries. Le régime tient, il a ses tribus et ses villes. On s'installe, à moins d'une intervention terrestre, dans un statu quo propice à la somalisation de la Libye ou du moins sa partition. Les Occidentaux tentent, par des moyens militaires, de rompre ce statu quo.

Ils ne peuvent, officiellement du moins, intervenir au sol. Pour affaiblir le régime, ils doivent aller vers des bombardements massifs, vers une tentative d'annihilation de tous ceux qui soutiennent actuellement Kadhafi. En clair, il faut un énorme massacre que l'on doit applaudir au nom de la nécessité d'éviter un autre massacre. En définitive, on doit choisir entre les victimes qui sont toutes libyennes.

Le conflit politique a changé de nature en Libye avec l'intrusion des Occidentaux et la démission des Etats voisins qui auraient dû «intervenir», par tous les moyens, en faveur des Libyens contre le régime. Désormais, la situation leur échappe.

Les choses peuvent également échapper en Syrie, où la rigidité du régime, son refus de se réformer ouvrent une gigantesque fenêtre d'opportunité pour les Occidentaux d'en finir avec un des derniers pays récalcitrants à la pax-americana dans la région.



Il est bon de rappeler, dans ce contexte et à l'heure où la propagande occidentale se félicite que la question palestinienne n'occupe plus l'esprit de la «rue arabe», que Ghaza et les territoires occupés sont des «no life zones». Et qu'y vit une population sous blocus depuis des années, encerclée par une gigantesque armée coloniale.

Et pour conclure ce survol des drames régionaux, une observation se confirme bien : les analyses faciles sont souvent les moins pertinentes. Le réseau arabe d'information sur les droits de l'homme vient, à juste titre, de tancer avec vigueur la «star» Al Qaradhaoui. Elle met en relief la duplicité politique du religieux qui a soutenu la révolution en Egypte et en Tunisie (c'est bien), qui a décrété une fatwa pour tuer Kadhafi (est-ce le rôle d'un religieux d'appeler au meurtre ?) et qui a qualifié (c'est franchement honteux) la contestation au Bahreïn de confessionnelle et qui ne dit rien sur la répression en Arabie Saoudite. Al Qaradhaoui obéit-il à une analyse politique cohérente ? Ou bien édicte-t-il des fatwas sur la base de son statut de fonctionnaire d'Al Jazira ?

Soutenons donc les révolutions authentiques des peuples mais ne soyons pas dupes, les enjeux sont complexes. Et n'oublions jamais que parmi ces peuples, il y a les Palestiniens qui se battent avec un grand courage et de faibles moyens contre l'oppression du dernier système d'apartheid de la planète.

lundi 14 mars 2011

LA RUINE DE LA «DEMOCRATIE SPECIFIQUE»

Les Tunisiens ne se sont pas contentés de faire fuir le tyran et son indécente famille. Ils ont joué un tour historique à l'ensemble des autocraties et autoritarismes arabes. Même la très fermée Arabie Saoudite est touchée par cet élan libérateur tunisien de rétablissement total de la citoyenneté. Les Tunisiens sont soupçonneux et ils restent vigilants sur les possibilités de détournement de la révolution. Mais le progrès est déjà prodigieux.

S'ils n'ont pas de recettes toutes faites à donner aux autres, ils ont déjà réussi à fixer un niveau d'exigence démocratique qui est en train de devenir une plateforme générale. Et plus la démocratie prendra de l'ancrage en Tunisie – rien n'est jamais sûr en la matière –, et plus cette citoyenneté exigeante deviendra la norme. Le mauvais «tour» que les Tunisiens ont fait aux régimes est dans cette norme qu'ils établissent dans la lutte : une démocratie. Sans aucun qualificatif additionnel qui, traditionnellement au Sud, est créé pour fixer des «lignes rouges» et surtout pour vider la notion de toute substance.

Les régimes perdent ainsi une marge de manœuvre. Ils ne pourront plus décréter qu'une société arabe est inapte à la démocratie et qu'il lui faudra deux siècles d'apprentissage, sous autoritarisme bien entendu, pour prétendre accéder à une démocratie sans adjectifs additionnels qui retranchent ou vident.

Le roi du Maroc, Mohammed VI, qui a reçu des appuis bruyants des démocraties occidentales en annonçant un chantier de réformes politiques, le découvre déjà. Dimanche, il a fait jouer la répression contre des contestataires qui n'ont pas été impressionnés outre mesure par la «révolution tranquille» du roi louée par l'establishment partisan.

Les jeunes du mouvement du 20 février sont dans la norme «tunisienne», alors que l'establishment est toujours dans la vieille norme de la sujétion qui consiste à applaudir tout ce qui vient du Roi. Il y a comme une rupture culturelle entre le vieil establishment politique, encore prisonnier des vieux schémas, et des jeunes et des associations qui sont totalement dans le nouvel esprit né avec la révolution tunisienne. Il suffit d'écouter Khadija Ryadi, présidente de l'Association marocaine des droits de l'homme (AMDH), expliquer que les réformes annoncées ne sortent pas d'une «démarche traditionnelle avec un roi qui décide de tout», pour comprendre que les choses ont bien changé.

Les Tunisiens ont ruiné le «spécifique» et sa «tyrannie» qui consiste à offrir les apparats de la démocratie sans son contenu. La persistance de la demande de réformes politiques, même après la parole censée décisive du roi, illustre parfaitement le nouvel esprit qui parcourt le monde arabe.

La démocratie spécifique à la tunisienne a vécu. Les démocraties spécifiques à la marocaine ou à l'algérienne n'ont pas d'avenir.

samedi 12 mars 2011

RENTE ET REFORMES

par K. Selim
Le roi du Maroc, Mohammed VI, a annoncé mercredi soir des réformes, au contenu encore indéfini, pour absorber une contestation politique nouvelle qui a émergé en dehors de l'establishment partisan traditionnel. Celle-ci est le fait de jeunes - ils ont démarré sur Facebook, avant de se retrouver le 20 février dans la rue - qui lui demandent de régner sans gouverner. Ils ont l'appui d'associations comme l'Organisation marocaine des droits de l'homme (OMDH), qui estiment qu'il faut désacraliser le monarque.

Même si ce mouvement de jeunes est accueilli avec une certaine condescendance, il inquiète la plupart des partis politiques traditionnels. Leur propre discrédit et une situation sociale difficile donnent à ces mouvements naissants un potentiel de croissance important. Mohammed VI, qui a eu, au début, une réaction méprisante à l'égard des revendications exprimées par des jeunes, a sans doute été ramené à de meilleurs sentiments par des amis occidentaux, déjà surpris par la «chute » des remparts Ben Ali et Moubarak, pour prendre l'initiative du changement pour mieux le contrôler.

Les bruyantes déclarations de satisfaction des pays occidentaux après le discours du roi sont manifestement destinées à l'appuyer vis-à-vis de l'opinion marocaine.

Il n'est pas surprenant non plus de constater que les partis marocains traditionnels saluent avec emphase la «révolution tranquille» engagée, selon eux, par le palais. Les jeunes du 20 février ou l'OMDH, dont la présidente Khadija Ryadhi, qui récusent le maintien de dispositions constitutionnelles mettant le roi «au-dessus de la Constitution», sont beaucoup plus critiques.

La dichotomie entre l'establishment politique marocain et la jeunesse est une réalité. Et fondamentalement - jusqu'à preuve du contraire -, l'initiative du roi vise à essayer de crédibiliser cet establishment face à la contestation émergente qui ose poser la question de la limitation de ses pouvoirs. Mais, c'est une donnée fondamentale, le régime, n'ayant pas de rente, est condamné à montrer une disponibilité politique qu'on ne trouve pas… à Alger.

Ici, on est dans l'ouverture homéopathique sur fond de discours qui se veut très centré sur les préoccupations économiques et sociales des Algériens. C'est quasiment une tentative de retour au contrat implicite qui a existé dans les trois premières décennies de l'indépendance, où la société était contrainte de renoncer à ses libertés politiques en contrepartie de l'assurance que l'Etat assure l'éducation, la santé et le salaire. Il n'est pas besoin de revenir sur les effets pervers d'un tel fonctionnement, même s'il était animé de bons sentiments populistes. Mais on sait depuis octobre 1988 qu'il est dépassé. Du moins le croyait-on.

Pour démontrer que les Algériens n'ont pas, ainsi qu'il l'affirme, des revendications politiques, le pouvoir est contraint de laisser faire l'informel et de redistribuer un peu plus pour ceux qui ont de l'emploi. Les travailleurs et les différentes corporations qui, depuis des années, ferraillent pour améliorer leurs revenus, ont bien senti qu'il existe une opportunité revendicative à saisir dans cette phobie de la politique du pouvoir.

Toute contestation sociale pouvant devenir politique, ce qui était refusé hier devient accessible aujourd'hui. Les temps de révolution chez les voisins deviennent ainsi des temps de revendications ici. Toute la question est de savoir si la rente est suffisante pour servir tout le monde…

Le pouvoir algérien, à force d'œuvrer à différer la réforme politique, prend le risque d'une course dispendieuse sans fin derrière les revendications sociales. Le bon sens aurait commandé de faire de la rente un moyen de lancer une réforme inévitable et non de la contrarier. Mais on a l'habitude. Le seul moment où il a été question de réformes politiques en Algérie a été celui où les caisses de l'Etat étaient - presque - vides.

vendredi 4 mars 2011

La khaïma démentielle de Kadhafi

Par K.Selim

Kadhafi a parlé avec un message confus : il n’a pas le pouvoir mais il ne lâchera pas de pouce de pouvoir. Celui qui ne reconnait aucune loi a fait une lecture ennuyeuse et sinistre du code pénal. Cet homme délire. Il a affirmé qu’il n’a pas encore fait usage de la violence. Après des centaines de morts, ce propos est sinistre. Le mot tyran est insuffisant. Le régime libyen met en œuvre une politique de la terre brûlée face au soulèvement de la population qui ne supporte plus les absurdités couteuses d’un clan qui a transformé un pays en une khaïma démentielle. On l’a déjà dit et on ne le redira jamais assez, cette révolte n’est pas motivée par la misère, même si la répartition des richesses en Libye est très inégale ; même si Kadhafi et son clan considèrent les ressources du pays comme une propriété privée. Mais même cette appropriation n’est qu’un élément de plus dans un rejet plus radical et plus profond. Kadhafi a cru avoir malaxé libyens à son image tortueuse et délirante. Or, cette société a conservé le souvenir d’une période où elle était une société, traditionnelle sans doute, mais une société normale. Le fait que les contestataires aient ressorti les drapeaux de la Libye de l’indépendance est significatif de l’ampleur du rejet de l’infâme sauce verte dans laquelle Kadhafi n’a cessé de les enfoncer. Les libyens ont bien entendu vécu, comme beaucoup d’autres peuples, avec passion les mouvements pour la dignité qui ont emporté les dirigeants des deux pays voisins. Ils l’ont ressenti avec d’autant plus de force que de nombreux libyens qu’ils soient des « anciens » où des jeunes qui ont acquis une instruction moderne ne supportaient plus d’être la risée du monde en raison d’un raïs erratique qui a abandonné toute idée de gouvernance et qui aime à se donner en spectacle. Tout en refusant que son pays soit doté d’institutions rationnelles et d’infrastructures fonctionnelles. Conspirateur permanent, cet homme pense que son peuple est continuellement entrain de comploter d’où cette prolifération de milices qui surveillent et se surveillent. Pour les libyens, cet homme et son régime sont une plaie permanente. Il était grotesque, le voilà qui montre le visage atroce de bourreau de son propre peuple. Le recours à des mercenaires qui sèment la mort de manière indiscriminée en dit long sur les mœurs du clan au pouvoir. La folie criminelle de ce régime est sans limites comme le démontre l’utilisation de l’aviation militaire pour réprimer des manifestants. Le discours à la fois incohérent et pervers prononcé par le Guide dans son camp retranché de Bab Azizia confirme la détermination du clan à ne rien lâcher. En annonçant qu’il se préparait à recourir à la force pour écraser les « rats » qui protestent dans les rues du pays, Kadhafi indique clairement que le déchainement de violence de ces derniers jours n’est rien comparé à ce qui risque d’arriver. En lisant ostensiblement des passages de Code pénal, le Grand Leader justifie la mort qu’il s’apprête à infliger à tous ceux qui osent le contester. La péroraison de Bab Azizia derrière une rhétorique anti-américaine usée jusqu’à la corde a constitué un appel direct à la grande peur des occidentaux, celle de l’établissement d’un régime islamiste inspiré par Ben Laden. La performance de Kadhafi est l’illustration implacable de l’adage qui veut qu’un pouvoir absolu rende absolument fou. Il faut espérer que le crépuscule sanglant de ce dictateur ubuesque soit bref et que l’opinion mondiale réagisse enfin avec fermeté contre la spirale d’horreur dans laquelle ce tyran et son clan veulent précipiter le peuple de Libye.

La démocratie arabe, selon Mme Clinton

Par K.Selim
"Il est temps d'entendre l'appel de la jeunesse des rues de Tunis, de Tripoli et du Caire!". Ce merveilleux appel est celui lancé, hier, à Genève, au Conseil des droits de l’homme par Mme Hillary Clinton, ministre des affaires étrangères de M.Barack Obama. Que c’est beau ! Bien entendu, la secrétaire d’Etat américaine n’a pas résisté à l’envie de marquer un point contre l’Iran en se demandant, ingénument, « Pourquoi le peuple de Tripoli pourrait accéder à la liberté et non celui de Téhéran?". Oui, le peuple de Téhéran mérite d’accéder à la liberté, mais la représentante de l’Empire oublie de noter que les peuples de Tunisie, d’Egypte et même de Libye se sont rebellés contre des gouvernants amis des Etats-Unis. Peut-être – mais cela mérite d’être vérifié – que ce discours est une sorte de mea-culpa implicite qui annonce un changement de politique. Les « remparts » érigés contre les peuples n’ayant de toute évidence pas tenus, autant faire semblant de les accompagner en énonçant que les « changements ne peuvent s'imposer que de l'intérieur! ». Voilà qui est d’une grande justesse à condition de ne pas oublier de rappeler que dans de nombreux pays arabes, les changements voulus « de l’intérieur » ont été constamment entravés de l’extérieur. Le cas de l’Egypte est bien entendu édifiant. Le cas de la Palestine aussi où le peuple a été puni, assiégé et affamé, pour avoir voté pour un parti qui n’agrée pas à Israël et aux Etats-Unis. Curieusement, Mme Clinton, estime que le cours des évènements en Egypte et en Tunisie aurait discrédité les « mouvements extrémistes » - on suppose qu’elle veut dire islamiste – qui ne « sont pas parvenus à renverser les pouvoirs en place, contrairement aux mobilisations pacifiques ». L’argumentaire est spécieux. Ni en Egypte, ni en Tunisie, des mouvements « extrémistes » ne cherchaient à faire tomber le régime par la violence. Mme Clinton interprète l’histoire à l’aune de ses propres œillères. Il y a bien un courant islamiste en Egypte mais, hormis des petits groupuscules restreints, il n’a jamais prôné la violence. Idem en Tunisie. Mais il est clair que pour Mme Clinton – et M.Obama aussi – tous ceux qui estiment qu’il faut être ferme avec Israël et refuser ses faits de violence sont des « extrémistes ». Qu’ils soient islamistes, laïcs, centristes ou libéraux… C’est cela le critère. M.Obama trouve normal qu’Israël occupe les territoires palestiniens et organise la purification ethnique. Il trouve que Mahmoud Abbas est un « extrémiste » car il n’a pas accepté de demander le retrait d’une résolution soumis au Conseil de sécurité qui condamne la colonisation. Mme Clinton considère que la violence israélienne n’est jamais condamnable et que la résistance des palestiniens l’est toujours. Même quand elle s’exprime dans la manière ultra-molle de Mahmoud Abbas. De quoi rester très dubitatif quand on l’entend proclamer que le soutien aux transitions en cours vers la démocratie dans le monde arabe est "un impératif stratégique". En réalité, les Etats-Unis ont constamment entravé les élans des peuples arabes vers la liberté. Leur soutien aux transitions en cours a pour but de les circonscrire. Un processus démocratique sérieux en Egypte ne pourra qu’entrainer un changement – à défaut de bouleversement – de la politique du pays à l’égard d’Israël. Gageons que dans ce cas, l’Egypte sera soumise à d’intenses pressions et que si elle ne cède pas, elle deviendra un pays « extrémiste ». Le discours « démocratique » de la grande démocratie américaine restera toujours sans crédit en raison de la complicité indéfectible des dirigeants américains dans l’oppression des palestiniens. Dans le monde arabe, les opinions attendent que la démocratie victorieuse en Egypte réaliste l’ajustement nécessaire en faveur des palestiniens. Manifestement, ce n’est pas la même démocratie que souhaite Washington.

La loi et l’agenda

Par M.Saâdoune

«L'État prend des mesures en commençant par les questions prioritaires pour le citoyen d'ordre économique et social (…). Les préoccupations politiques suivront et c'est le gouvernement qui décidera du moment opportun ». Le propos du ministre de l’intérieur, Dahou Ould Kablia, est limpide sur la manière dont le gouvernement voit les choses. Cela d’ailleurs se traduit par une série de mesures dont certaines font grincer des dents tant elles sentent fort le populisme et l’improvisation. Il n’y a rien de surprenant de voir le pouvoir agir dans cette direction puisqu’il croit que les algériens n’ont pas de demandes politiques ; ou que les mesures à caractère social – et économique ? – qu’il prend tendraient à réduire l’importance de cette demande. Le diagnostic ou l’appréciation traduisent une vision très discutable. Il n’est même pas nécessaire d’essayer de décortiquer la philosophie qui sous-tend ce genre d’assertion. Il faut admettre que cette vision existe et que cela fait partie du droit élémentaire d’avoir des convictions. Par contre, ce que M.Ould Kablia ne peut ignorer est que les droits légaux consacrés par la Constitution et les lois ne sont pas subordonnées à la vision du monde du gouvernement et à son agenda. Le gouvernement a toute latitude d’essayer de convaincre les algériens qu’il s’occupe des questions économiques et sociales et que cela est la chose la plus importante à ses yeux, cela ne lui octroie pas le droit de suspendre un droit légal. Créer un parti politique est une affaire de citoyens qui n’est pas tributaire des « priorités » du pouvoir politique. Il y a une loi qui fixe les conditions de création d’un parti, les pièces justificatives à fournir et l’autorité administrative chargée de recevoir le dossier et de délivrer l’agrément. Formellement, il s’agit d’un processus administratif qui ne dépend pas d’un quitus politique du pouvoir, ni de sa disponibilité, ni de son emploi du temps. Aucun souci prioritaire de l’Etat ne doit donc permettre de justifier la suspension de fait de l’application de la loi. La levée officielle de l’état d’urgence ne permet plus de masquer qu’on est devant une entrave à l’exercice d’un droit reconnu par les lois. Même s’il essaie de nuancer l’interdit de fait qui est opposé à des citoyens de créer leur partis politiques, le ministre de l’intérieur sera constamment dans l’impossibilité d’opposer un argument – de droit – convainquant. Le gouvernement fait de la politique – ce qui est la moindre des choses – mais aucune politique ne peut être fondée sur le non-respect de la loi. Ni la Constitution, ni les lois ne soumettent le droit des algériens de créer des partis où des associations à un agenda gouvernemental particulier. Aucune loi n’est faite pour n’être appliquée que quand le gouvernement le veut bien. Les questions prioritaires d’ordre économique et social qui sont mises en avant par le gouvernement ne peuvent servir d’argument ou de justification à la non-application de la loi. Il n’est pas inutile de rappeler que le respect de la forme de la loi est primordial car il préjuge sur le fond. L’application de la loi – de toutes les lois – est une obligation permanente. Et il faudra sans doute le rappeler avec vigueur à chaque fois qu’un responsable laisse entendre que l’exercice des libertés et des droits reconnus par la Constitution n’est pas une priorité et qu’il peut de ce fait être suspendu… jusqu’à ce qu’il veut bien.