vendredi 22 avril 2011

Les tigres au 11ème jour

Une nouvelle d’une terrible concision du syrien Zakaria Tamer, un fabuleux forgeron autodidacte, raconte comment un dompteur entouré de ses élèves fait plier un tigre en dix jours. Dix jours au fil de la torture ordinaire infligée au citoyen arabe : mépris, obligation d’écouter le discours du chef… Le tigre fait le fier mais le dompteur a du ressort et entreprend de l’affamer et enfin de le forcer à manger de l’herbe.
Les « tigres au dixième jour », nouvelle parue en 1978, faisait le récit désespérant de l’écrasement de l’individu par une machine politico-policière qui semblait, à cette époque, disposer de l’éternité devant elle. Et qui se donnait le moyen de dompter les sociétés et d’obtenir leur consentement. Cette nouvelle narrait l’emprise absolue des appareils de pouvoir où le seul ersatz de bonheur individuel réside dans la soumission.
Zakaria Tamer qui a dû s’exiler à Londres pour éviter d’être dompté a, peut-être, songé que le dixième jour du tigre n’était pas définitif et qu’il y en aurait un onzième. Le dompteur – le régime – a trop abusé de sa position de force présumée et surtout de la patience des tigres syriens qui se sont mis à manger de l’herbe par considération de l’environnement hostile dans lequel se trouve leur pays. Désormais, ils ne l’acceptent plus. Et la nouvelle de Tamer a une suite…
Au Onzième jour, les tigres découvrirent que le pays c’était eux et que leurs morts, par néantisation, pas soumission, était la propre mort de tous. Ils décidèrent de ne plus entendre le discours du dompteur, de ne plus brouter de l’herbe et d’être ce que la nature à fait d’eux : des créatures libres.
Au onzième jour, les tigres syriens manifestent et meurent. Convaincus que sans liberté et sans dignité, ils sont déjà morts. Au onzième jour, les tigres de Syrie ont cessé d’avoir peur. Ils ne veulent pas laisser le temps au dompteur de rétablir la situation, de recréer cette peur de mourir qui est pire que la mort.
Les syriens, ces tigres du 11ème jour sont dans un temps que le dompteur ne parvient pas encore à imaginer, celui de sa mise au chômage, de l’inutilité de son savoir et de la vacuité d’une vie muette. Le « jeune » Bachar Al Assad ne se rend toujours pas compte que les appareils politico-policiers ont perdu le pouvoir d’inspirer la peur par leur seule existence et par la violence « exemplaire » destinée à paralyser les velléitaires.
Le pouvoir-dompteur réprime et la rage de liberté et de dignité du citoyen-tigre enfle. Bachar Al-Assad lève l’état d’urgence tandis que les « dompteurs » tirent à balle réelle, les syriens n’ont pas besoin de plus de signaux pour deviner que le régime cherche à gagner du temps, à espérer un second souffle pour rétablir la gouvernance par la peur. C’est bien pour cela que les syriens considèrent qu’après tout ces morts, aucun retour en arrière n’est désormais possible.
Le régime a encore – peut-être – une possibilité de négocier un vrai changement. Mais cette possibilité s’amenuise de jour en jour. Le régime n’a pas saisi que le tigre syrien ne veut plus, ne peut plus retourner au dixième jour….
K.Selim

Nous ne murirons pas ensemble ?

Dans une tentative laborieuse de créer un « débat », M.Belkhadem Abdelaziz, secrétaire général du FLN affirme que la société algérienne ne serait pas « assez mûre » pour un régime parlementaire. En situation normale l’assertion renverrait à la très classique discussion de première année de sciences politiques sur les mérites comparés des systèmes présidentiel et parlementaire. En situation algérienne réelle, il ne faut en retenir qu’une seule chose : M.Belkhadem et ses semblables se sentent très « murs » pour décréter que les algériens ne sont pas murs à la démocratie. Il fut un temps où M.Belkhadem, collé aux basques d’un Abdellhamid Mehri, peu accommodant pour le régime dont il connaît parfaitement les ressorts, pensait autrement. Il aurait pu dire : « nous murirons ensemble ». Là, apparemment, il pense qu’il a « muri » sans nous, M.Belkhadem. Il lui reste à nous dire combien de temps faudra-t-il pour le peuple algérien soit enfin décrété «mur». Et surtout pourquoi un peuple qui serait si immature devrait se prononcer sur des choses aussi compliquées qu’une révision constitutionnelle ? Pourquoi fatiguer le bon peuple qui n’a pas la « culture démocratique » nécessaire et qui serait, c’est cela l’implicite, disponible à profusion chez les cercles dirigeants du pays. Le ministre de l’intérieur est, au fond, plus conséquent. Il a une loi sur les partis politiques qui oblige son administration à recevoir le dossier de création d’un parti, de vérifier s’il est complet et remplit les conditions et de délivrer un accusé de réception. C’est ce que vient d’expliquer, à nouveau, le président de la LADDH, Mustapha Bouchachi, cet adorateur «immature » de la loi, en estimant que le ministre de l’intérieur n’a pas le pouvoir de refuser la création d’un parti mais qu’il peut saisir la justice administrative à qui il revient de trancher. Mais Bouchachi n’a pas « compris » qu’il faudra attendre que la société algérienne soit mure pour que ce respect des procédures et des lois soit de mise. Le ministre, lui, veille à l’ordre public et à la quiétude générale et, estimant probablement que la scène politique n’est pas « mure », il a décidé, sans en référer à la justice, de suspendre l’application de la loi. Celle-ci sera appliquée quand les bonnes conditions seront réunies. C'est-à-dire, quand le pouvoir décidera qu’elles le sont. Gageons qu’avec la culture ambiante, les algériens ne « muriront » pas de sitôt. La politique, dans un cadre libre bien entendu, est un constant apprentissage. On peut en retenir, en surface, les aspects spectacles, mais sur le fond, elle permet, par le débat et la confrontation, une négociation permanente entre les intérêts pour parvenir à un équilibre … qui sera renégocié par la suite. Elle sert, surtout, à éviter les crises ou à la résoudre, au moindre cout, par des voies pacifiques. Dans ces systèmes, balisés par le droit et arbitrés, in fine, par les citoyens dans les urnes, un homme politique qui laisserait entendre, même de manière implicite, que les électeurs ne sont pas suffisamment murs n’a pas d’avenir. Dans un système fermé, l’argument de l’immaturité du peuple – entendu sous mille et une rengaines en Tunisie et en Egypte – sert à maintenir le statuquo. Quand la politique n’est pas rétablie pour permettre une libération continue de l’énergie générée par la tectonique sociale, on se condamne à aller jusqu’au bout de cette crise que les hommes politiques « murs » n’arrivent pas à voir. Qu’est-ce qu’un séisme, si ce n’est une libération soudaine d’une énergie, trop longtemps et trop dangereusement, comprimée.