lundi 9 décembre 2013

En attendant le ministre




 K.Selim


Ceux qui, par malheur, sont forcés à une présence régulière dans les structures hospitalières observent ces derniers temps des drôles de situations. Dans certains hôpitaux, il règne un climat d’attente de la visite du ministre de la santé qui se traduit par une « rigueur » dans l’interdiction d’accès aux véhicules à l’intérieur des enceintes. Les gardiens ont reçu des ordres qu’ils appliquent de manière implacable et certains grands hôpitaux de la capitale qui s’étaient en « parking » connaissent une vraie décongestion. C’est qu’entre un personnel très véhiculé – comme c’est la mode algérienne – et les visiteurs tout aussi véhiculés, cela fait chaos dès l’abord. Outre cette rigueur des gardiens, on peut constater dans certains hôpitaux – ne les citons pas, cela n’est pas nécessaire – une mobilisation générale du personnel d’entretien. On nettoie, on lave, on fait les choses que l’on fait normalement sans attendre la visite du ministre. Cela ne change pas drastiquement les choses dans les hôpitaux publics mais on est surpris de découvrir des personnels, médecins compris, qui arrivent « à l’heure ». Dans ce climat d’attente de la visite ministérielle, des choses « changent » même si la qualité du service continue de laisser à désirer et que les attentes des malades sont toujours longues, terriblement longues. « Ici, j’ai compris le sens algérien du mot patient, c’est quelqu’un qui n’arrête pas d’attendre en se disant que son tour finira par arriver  à un moment ou un autre» raconte un habitué, malgré lui, de l’hôpital. En regardant le climat d’effervescence et de fébrilité qui règne, il se dit que peut-être les choses finiront par « bouger ». Et, souriant, il ajoute : à la condition que le ministre continue de s’annoncer « à n’importe quel moment, sans venir ». Car, il n’en doute pas, si le ministre vient pour de vrai, termine sa visite et même s’il fait des remontrances aux responsables – voire même limoge un ou deux chefs – les petits choses ordinaires que l’on commence enfin à faire vont cesser de l’être. Bref, pour ce grand malade, pour atténuer le chaos et le laisser-aller, il faut que le ministre n’en finit pas de se faire annoncer. Ou alors, une fois sa visite terminée de s’annoncer, à nouveau, pour le mois prochain. Peur du gendarme ? Non, estime-t-il, mais il y a l’éternelle mauvaise gestion dont profitent les « tire au flanc » qui ont un terrible effet d’émulation négative. Mais, précise-t-il, il y a une partie, petite selon lui, du personnel, qui ne pense ni au gendarmes, ni aux tire-au-flanc, ni même à la mauvaise gestion et encore moins à la visite du ministre… Ceux-là, dit-il, font les choses en « conscience » et estiment qu’ils sont là pour travailler, aider, secourir… Ceux-là sont responsables du « peu qui marche » dans les hôpitaux. Et ils le font contre un environnement dissuasif au travail, hostile aux malades, contre des structures alourdies par des accumulations de mauvaises gestions qui rendent leur réforme problématique. Le ministre finira par passer, dit le malade, les habitudes reprendront le dessus. Et lui, il préfèrera penser aux bonnes habitudes, très personnelles, de ceux qui font leur boulot sans rien concéder à « l’idéologie dominante » qui veut que les gens qui travaillent bien, beaucoup ou avec passion, soient des « niais ». 



mardi 3 décembre 2013

COMA ARTIFICIEL



Par K. Selim, 04 décembre 2013



Quand à quelques semaines de la convocation du corps électoral pour l'élection présidentielle, on n'a ni candidats, ni débats, ni… campagne, il est difficile de ne pas relever la grande bizarrerie de la situation algérienne. Même les péripéties, surprenantes, de la marche au ralenti vers la 3G participent de cette «anormalité» nationale. Les arguments avancés par les responsables tenant difficilement la route et sans faire dans la suspicion de principe, il est difficile de ne pas y voir des «ralentisseurs» mis en place pour éviter une trop grande connectivité mobile des Algériens avant «l'échéance». Mais ce n'est qu'un signe de plus de l'état de coma politique artificiel dans lequel est mise l'Algérie depuis des années et qu'on fait perdurer au-delà de tout bon sens.

On le sait, depuis le début des années 2000 et dans un contexte sécuritaire moins stressant, le régime a entrepris de neutraliser la vie politique. La fameuse «alliance présidentielle» regroupant formellement le FLN, le RND et le MSP n'était fondée sur aucun programme politique, ni des objectifs économiques et sociaux. Celui qui «tenait» le MSP, parti «intrus» dans le système, expliquait doctement qu'il avait préféré la «stabilité» du pays aux intérêts politiques. Discours absurde, la stabilité d'un pays n'étant pas le produit d'un renoncement des femmes et des hommes à faire ce qu'ils sont présumés faire. Mais ce discours n'était que l'expression de la caporalisation «physique» des partis politiques et l'attribution de rôles aux états-majors pour vider le pays de la politique, présentée de manière pernicieuse comme étant le «mal» absolu qui a plongé le pays dans les violences.

On «gèle» pour mettre de «l'ordre». Mais comment mettre de «l'ordre» avec une gouvernance approximative avec des institutions réduites à faire du décorum. Mais la lecture de la politique comme incarnation du «mal» était facile à faire passer en lui imputant le désastre sanglant des années 90. Lecture fausse que des médias par facilité ou par «orientation» traduisaient systématiquement par des dénonciations de la «faillite des partis politiques». Même aujourd'hui, ces discours dénonciateurs des partis politiques continuent de servir avec un message subliminal qu'au fond ils ne sont d'aucune utilité. Il est difficile de vaincre la mauvaise foi et encore moins des discours programmés pour vendre avec constance l'idée que la politique est inutile et qu'il vaut mieux préserver le «statuquo» plutôt que d'aller vers «l'inconnu».

Certes, les recettes pétrolières permettent encore, pour un temps, d'entretenir cette phobie de la politique et d'entretenir une situation de non-reddition de comptes. Mais c'est bien ce coma politique entretenu pour maintenir le statuquo, synonyme d'absence d'anticipation, de perpétuation d'un système qui dépense énormément sans créer de la valeur - au sens symbolique et matériel - qui plonge le pays dans l'inconnu. Les médecins le savent : un coma artificiel qui se prolonge n'est jamais un bon signe.

Le Quotidien d'Oran