samedi 12 mars 2011

RENTE ET REFORMES

par K. Selim
Le roi du Maroc, Mohammed VI, a annoncé mercredi soir des réformes, au contenu encore indéfini, pour absorber une contestation politique nouvelle qui a émergé en dehors de l'establishment partisan traditionnel. Celle-ci est le fait de jeunes - ils ont démarré sur Facebook, avant de se retrouver le 20 février dans la rue - qui lui demandent de régner sans gouverner. Ils ont l'appui d'associations comme l'Organisation marocaine des droits de l'homme (OMDH), qui estiment qu'il faut désacraliser le monarque.

Même si ce mouvement de jeunes est accueilli avec une certaine condescendance, il inquiète la plupart des partis politiques traditionnels. Leur propre discrédit et une situation sociale difficile donnent à ces mouvements naissants un potentiel de croissance important. Mohammed VI, qui a eu, au début, une réaction méprisante à l'égard des revendications exprimées par des jeunes, a sans doute été ramené à de meilleurs sentiments par des amis occidentaux, déjà surpris par la «chute » des remparts Ben Ali et Moubarak, pour prendre l'initiative du changement pour mieux le contrôler.

Les bruyantes déclarations de satisfaction des pays occidentaux après le discours du roi sont manifestement destinées à l'appuyer vis-à-vis de l'opinion marocaine.

Il n'est pas surprenant non plus de constater que les partis marocains traditionnels saluent avec emphase la «révolution tranquille» engagée, selon eux, par le palais. Les jeunes du 20 février ou l'OMDH, dont la présidente Khadija Ryadhi, qui récusent le maintien de dispositions constitutionnelles mettant le roi «au-dessus de la Constitution», sont beaucoup plus critiques.

La dichotomie entre l'establishment politique marocain et la jeunesse est une réalité. Et fondamentalement - jusqu'à preuve du contraire -, l'initiative du roi vise à essayer de crédibiliser cet establishment face à la contestation émergente qui ose poser la question de la limitation de ses pouvoirs. Mais, c'est une donnée fondamentale, le régime, n'ayant pas de rente, est condamné à montrer une disponibilité politique qu'on ne trouve pas… à Alger.

Ici, on est dans l'ouverture homéopathique sur fond de discours qui se veut très centré sur les préoccupations économiques et sociales des Algériens. C'est quasiment une tentative de retour au contrat implicite qui a existé dans les trois premières décennies de l'indépendance, où la société était contrainte de renoncer à ses libertés politiques en contrepartie de l'assurance que l'Etat assure l'éducation, la santé et le salaire. Il n'est pas besoin de revenir sur les effets pervers d'un tel fonctionnement, même s'il était animé de bons sentiments populistes. Mais on sait depuis octobre 1988 qu'il est dépassé. Du moins le croyait-on.

Pour démontrer que les Algériens n'ont pas, ainsi qu'il l'affirme, des revendications politiques, le pouvoir est contraint de laisser faire l'informel et de redistribuer un peu plus pour ceux qui ont de l'emploi. Les travailleurs et les différentes corporations qui, depuis des années, ferraillent pour améliorer leurs revenus, ont bien senti qu'il existe une opportunité revendicative à saisir dans cette phobie de la politique du pouvoir.

Toute contestation sociale pouvant devenir politique, ce qui était refusé hier devient accessible aujourd'hui. Les temps de révolution chez les voisins deviennent ainsi des temps de revendications ici. Toute la question est de savoir si la rente est suffisante pour servir tout le monde…

Le pouvoir algérien, à force d'œuvrer à différer la réforme politique, prend le risque d'une course dispendieuse sans fin derrière les revendications sociales. Le bon sens aurait commandé de faire de la rente un moyen de lancer une réforme inévitable et non de la contrarier. Mais on a l'habitude. Le seul moment où il a été question de réformes politiques en Algérie a été celui où les caisses de l'Etat étaient - presque - vides.

Aucun commentaire: