vendredi 22 avril 2011

Les tigres au 11ème jour

Une nouvelle d’une terrible concision du syrien Zakaria Tamer, un fabuleux forgeron autodidacte, raconte comment un dompteur entouré de ses élèves fait plier un tigre en dix jours. Dix jours au fil de la torture ordinaire infligée au citoyen arabe : mépris, obligation d’écouter le discours du chef… Le tigre fait le fier mais le dompteur a du ressort et entreprend de l’affamer et enfin de le forcer à manger de l’herbe.
Les « tigres au dixième jour », nouvelle parue en 1978, faisait le récit désespérant de l’écrasement de l’individu par une machine politico-policière qui semblait, à cette époque, disposer de l’éternité devant elle. Et qui se donnait le moyen de dompter les sociétés et d’obtenir leur consentement. Cette nouvelle narrait l’emprise absolue des appareils de pouvoir où le seul ersatz de bonheur individuel réside dans la soumission.
Zakaria Tamer qui a dû s’exiler à Londres pour éviter d’être dompté a, peut-être, songé que le dixième jour du tigre n’était pas définitif et qu’il y en aurait un onzième. Le dompteur – le régime – a trop abusé de sa position de force présumée et surtout de la patience des tigres syriens qui se sont mis à manger de l’herbe par considération de l’environnement hostile dans lequel se trouve leur pays. Désormais, ils ne l’acceptent plus. Et la nouvelle de Tamer a une suite…
Au Onzième jour, les tigres découvrirent que le pays c’était eux et que leurs morts, par néantisation, pas soumission, était la propre mort de tous. Ils décidèrent de ne plus entendre le discours du dompteur, de ne plus brouter de l’herbe et d’être ce que la nature à fait d’eux : des créatures libres.
Au onzième jour, les tigres syriens manifestent et meurent. Convaincus que sans liberté et sans dignité, ils sont déjà morts. Au onzième jour, les tigres de Syrie ont cessé d’avoir peur. Ils ne veulent pas laisser le temps au dompteur de rétablir la situation, de recréer cette peur de mourir qui est pire que la mort.
Les syriens, ces tigres du 11ème jour sont dans un temps que le dompteur ne parvient pas encore à imaginer, celui de sa mise au chômage, de l’inutilité de son savoir et de la vacuité d’une vie muette. Le « jeune » Bachar Al Assad ne se rend toujours pas compte que les appareils politico-policiers ont perdu le pouvoir d’inspirer la peur par leur seule existence et par la violence « exemplaire » destinée à paralyser les velléitaires.
Le pouvoir-dompteur réprime et la rage de liberté et de dignité du citoyen-tigre enfle. Bachar Al-Assad lève l’état d’urgence tandis que les « dompteurs » tirent à balle réelle, les syriens n’ont pas besoin de plus de signaux pour deviner que le régime cherche à gagner du temps, à espérer un second souffle pour rétablir la gouvernance par la peur. C’est bien pour cela que les syriens considèrent qu’après tout ces morts, aucun retour en arrière n’est désormais possible.
Le régime a encore – peut-être – une possibilité de négocier un vrai changement. Mais cette possibilité s’amenuise de jour en jour. Le régime n’a pas saisi que le tigre syrien ne veut plus, ne peut plus retourner au dixième jour….
K.Selim

Nous ne murirons pas ensemble ?

Dans une tentative laborieuse de créer un « débat », M.Belkhadem Abdelaziz, secrétaire général du FLN affirme que la société algérienne ne serait pas « assez mûre » pour un régime parlementaire. En situation normale l’assertion renverrait à la très classique discussion de première année de sciences politiques sur les mérites comparés des systèmes présidentiel et parlementaire. En situation algérienne réelle, il ne faut en retenir qu’une seule chose : M.Belkhadem et ses semblables se sentent très « murs » pour décréter que les algériens ne sont pas murs à la démocratie. Il fut un temps où M.Belkhadem, collé aux basques d’un Abdellhamid Mehri, peu accommodant pour le régime dont il connaît parfaitement les ressorts, pensait autrement. Il aurait pu dire : « nous murirons ensemble ». Là, apparemment, il pense qu’il a « muri » sans nous, M.Belkhadem. Il lui reste à nous dire combien de temps faudra-t-il pour le peuple algérien soit enfin décrété «mur». Et surtout pourquoi un peuple qui serait si immature devrait se prononcer sur des choses aussi compliquées qu’une révision constitutionnelle ? Pourquoi fatiguer le bon peuple qui n’a pas la « culture démocratique » nécessaire et qui serait, c’est cela l’implicite, disponible à profusion chez les cercles dirigeants du pays. Le ministre de l’intérieur est, au fond, plus conséquent. Il a une loi sur les partis politiques qui oblige son administration à recevoir le dossier de création d’un parti, de vérifier s’il est complet et remplit les conditions et de délivrer un accusé de réception. C’est ce que vient d’expliquer, à nouveau, le président de la LADDH, Mustapha Bouchachi, cet adorateur «immature » de la loi, en estimant que le ministre de l’intérieur n’a pas le pouvoir de refuser la création d’un parti mais qu’il peut saisir la justice administrative à qui il revient de trancher. Mais Bouchachi n’a pas « compris » qu’il faudra attendre que la société algérienne soit mure pour que ce respect des procédures et des lois soit de mise. Le ministre, lui, veille à l’ordre public et à la quiétude générale et, estimant probablement que la scène politique n’est pas « mure », il a décidé, sans en référer à la justice, de suspendre l’application de la loi. Celle-ci sera appliquée quand les bonnes conditions seront réunies. C'est-à-dire, quand le pouvoir décidera qu’elles le sont. Gageons qu’avec la culture ambiante, les algériens ne « muriront » pas de sitôt. La politique, dans un cadre libre bien entendu, est un constant apprentissage. On peut en retenir, en surface, les aspects spectacles, mais sur le fond, elle permet, par le débat et la confrontation, une négociation permanente entre les intérêts pour parvenir à un équilibre … qui sera renégocié par la suite. Elle sert, surtout, à éviter les crises ou à la résoudre, au moindre cout, par des voies pacifiques. Dans ces systèmes, balisés par le droit et arbitrés, in fine, par les citoyens dans les urnes, un homme politique qui laisserait entendre, même de manière implicite, que les électeurs ne sont pas suffisamment murs n’a pas d’avenir. Dans un système fermé, l’argument de l’immaturité du peuple – entendu sous mille et une rengaines en Tunisie et en Egypte – sert à maintenir le statuquo. Quand la politique n’est pas rétablie pour permettre une libération continue de l’énergie générée par la tectonique sociale, on se condamne à aller jusqu’au bout de cette crise que les hommes politiques « murs » n’arrivent pas à voir. Qu’est-ce qu’un séisme, si ce n’est une libération soudaine d’une énergie, trop longtemps et trop dangereusement, comprimée.

vendredi 25 mars 2011

NO FLY ZONE ET NO LIFE ZONE

par K. Selim

Sur Ghaza, c'est la no life zone. Personne ne s'en soucie, alors que depuis plus des décennies, des Palestiniens sont en révolution contre le régime en place, celui du racisme et de l'occupation coloniale. A l'heure où la chaîne Al Jazira, dans une mutation remarquable, nous présente l'Otan comme une angélique organisation armée de défense des droits de l'homme, il est utile de le rappeler.

En espérant qu'on ne sera pas accusés d'être les défenseurs de l'affreux dictateur de Tripoli ou de ses semblables ailleurs dans le monde arabe. Mais, sur la Libye, à moins de faire l'aveugle, les opérations occidentales sont meurtrières et le seront de plus en plus, à mesure qu'il devient patent que l'insurrection n'a pas le moyen d'inverser le rapport de force militaire au sol.

La résolution 1973 du Conseil de sécurité, rendue possible par la Ligue arabe, ne donne pas aux Occidentaux le mandat de détruire le régime de Kadhafi. Il faut le rappeler clairement. C'est pourtant bien le but des Occidentaux. Or, les défections au sein de l'armée loyale à Kadhafi se sont taries. Le régime tient, il a ses tribus et ses villes. On s'installe, à moins d'une intervention terrestre, dans un statu quo propice à la somalisation de la Libye ou du moins sa partition. Les Occidentaux tentent, par des moyens militaires, de rompre ce statu quo.

Ils ne peuvent, officiellement du moins, intervenir au sol. Pour affaiblir le régime, ils doivent aller vers des bombardements massifs, vers une tentative d'annihilation de tous ceux qui soutiennent actuellement Kadhafi. En clair, il faut un énorme massacre que l'on doit applaudir au nom de la nécessité d'éviter un autre massacre. En définitive, on doit choisir entre les victimes qui sont toutes libyennes.

Le conflit politique a changé de nature en Libye avec l'intrusion des Occidentaux et la démission des Etats voisins qui auraient dû «intervenir», par tous les moyens, en faveur des Libyens contre le régime. Désormais, la situation leur échappe.

Les choses peuvent également échapper en Syrie, où la rigidité du régime, son refus de se réformer ouvrent une gigantesque fenêtre d'opportunité pour les Occidentaux d'en finir avec un des derniers pays récalcitrants à la pax-americana dans la région.



Il est bon de rappeler, dans ce contexte et à l'heure où la propagande occidentale se félicite que la question palestinienne n'occupe plus l'esprit de la «rue arabe», que Ghaza et les territoires occupés sont des «no life zones». Et qu'y vit une population sous blocus depuis des années, encerclée par une gigantesque armée coloniale.

Et pour conclure ce survol des drames régionaux, une observation se confirme bien : les analyses faciles sont souvent les moins pertinentes. Le réseau arabe d'information sur les droits de l'homme vient, à juste titre, de tancer avec vigueur la «star» Al Qaradhaoui. Elle met en relief la duplicité politique du religieux qui a soutenu la révolution en Egypte et en Tunisie (c'est bien), qui a décrété une fatwa pour tuer Kadhafi (est-ce le rôle d'un religieux d'appeler au meurtre ?) et qui a qualifié (c'est franchement honteux) la contestation au Bahreïn de confessionnelle et qui ne dit rien sur la répression en Arabie Saoudite. Al Qaradhaoui obéit-il à une analyse politique cohérente ? Ou bien édicte-t-il des fatwas sur la base de son statut de fonctionnaire d'Al Jazira ?

Soutenons donc les révolutions authentiques des peuples mais ne soyons pas dupes, les enjeux sont complexes. Et n'oublions jamais que parmi ces peuples, il y a les Palestiniens qui se battent avec un grand courage et de faibles moyens contre l'oppression du dernier système d'apartheid de la planète.

lundi 14 mars 2011

LA RUINE DE LA «DEMOCRATIE SPECIFIQUE»

Les Tunisiens ne se sont pas contentés de faire fuir le tyran et son indécente famille. Ils ont joué un tour historique à l'ensemble des autocraties et autoritarismes arabes. Même la très fermée Arabie Saoudite est touchée par cet élan libérateur tunisien de rétablissement total de la citoyenneté. Les Tunisiens sont soupçonneux et ils restent vigilants sur les possibilités de détournement de la révolution. Mais le progrès est déjà prodigieux.

S'ils n'ont pas de recettes toutes faites à donner aux autres, ils ont déjà réussi à fixer un niveau d'exigence démocratique qui est en train de devenir une plateforme générale. Et plus la démocratie prendra de l'ancrage en Tunisie – rien n'est jamais sûr en la matière –, et plus cette citoyenneté exigeante deviendra la norme. Le mauvais «tour» que les Tunisiens ont fait aux régimes est dans cette norme qu'ils établissent dans la lutte : une démocratie. Sans aucun qualificatif additionnel qui, traditionnellement au Sud, est créé pour fixer des «lignes rouges» et surtout pour vider la notion de toute substance.

Les régimes perdent ainsi une marge de manœuvre. Ils ne pourront plus décréter qu'une société arabe est inapte à la démocratie et qu'il lui faudra deux siècles d'apprentissage, sous autoritarisme bien entendu, pour prétendre accéder à une démocratie sans adjectifs additionnels qui retranchent ou vident.

Le roi du Maroc, Mohammed VI, qui a reçu des appuis bruyants des démocraties occidentales en annonçant un chantier de réformes politiques, le découvre déjà. Dimanche, il a fait jouer la répression contre des contestataires qui n'ont pas été impressionnés outre mesure par la «révolution tranquille» du roi louée par l'establishment partisan.

Les jeunes du mouvement du 20 février sont dans la norme «tunisienne», alors que l'establishment est toujours dans la vieille norme de la sujétion qui consiste à applaudir tout ce qui vient du Roi. Il y a comme une rupture culturelle entre le vieil establishment politique, encore prisonnier des vieux schémas, et des jeunes et des associations qui sont totalement dans le nouvel esprit né avec la révolution tunisienne. Il suffit d'écouter Khadija Ryadi, présidente de l'Association marocaine des droits de l'homme (AMDH), expliquer que les réformes annoncées ne sortent pas d'une «démarche traditionnelle avec un roi qui décide de tout», pour comprendre que les choses ont bien changé.

Les Tunisiens ont ruiné le «spécifique» et sa «tyrannie» qui consiste à offrir les apparats de la démocratie sans son contenu. La persistance de la demande de réformes politiques, même après la parole censée décisive du roi, illustre parfaitement le nouvel esprit qui parcourt le monde arabe.

La démocratie spécifique à la tunisienne a vécu. Les démocraties spécifiques à la marocaine ou à l'algérienne n'ont pas d'avenir.

samedi 12 mars 2011

RENTE ET REFORMES

par K. Selim
Le roi du Maroc, Mohammed VI, a annoncé mercredi soir des réformes, au contenu encore indéfini, pour absorber une contestation politique nouvelle qui a émergé en dehors de l'establishment partisan traditionnel. Celle-ci est le fait de jeunes - ils ont démarré sur Facebook, avant de se retrouver le 20 février dans la rue - qui lui demandent de régner sans gouverner. Ils ont l'appui d'associations comme l'Organisation marocaine des droits de l'homme (OMDH), qui estiment qu'il faut désacraliser le monarque.

Même si ce mouvement de jeunes est accueilli avec une certaine condescendance, il inquiète la plupart des partis politiques traditionnels. Leur propre discrédit et une situation sociale difficile donnent à ces mouvements naissants un potentiel de croissance important. Mohammed VI, qui a eu, au début, une réaction méprisante à l'égard des revendications exprimées par des jeunes, a sans doute été ramené à de meilleurs sentiments par des amis occidentaux, déjà surpris par la «chute » des remparts Ben Ali et Moubarak, pour prendre l'initiative du changement pour mieux le contrôler.

Les bruyantes déclarations de satisfaction des pays occidentaux après le discours du roi sont manifestement destinées à l'appuyer vis-à-vis de l'opinion marocaine.

Il n'est pas surprenant non plus de constater que les partis marocains traditionnels saluent avec emphase la «révolution tranquille» engagée, selon eux, par le palais. Les jeunes du 20 février ou l'OMDH, dont la présidente Khadija Ryadhi, qui récusent le maintien de dispositions constitutionnelles mettant le roi «au-dessus de la Constitution», sont beaucoup plus critiques.

La dichotomie entre l'establishment politique marocain et la jeunesse est une réalité. Et fondamentalement - jusqu'à preuve du contraire -, l'initiative du roi vise à essayer de crédibiliser cet establishment face à la contestation émergente qui ose poser la question de la limitation de ses pouvoirs. Mais, c'est une donnée fondamentale, le régime, n'ayant pas de rente, est condamné à montrer une disponibilité politique qu'on ne trouve pas… à Alger.

Ici, on est dans l'ouverture homéopathique sur fond de discours qui se veut très centré sur les préoccupations économiques et sociales des Algériens. C'est quasiment une tentative de retour au contrat implicite qui a existé dans les trois premières décennies de l'indépendance, où la société était contrainte de renoncer à ses libertés politiques en contrepartie de l'assurance que l'Etat assure l'éducation, la santé et le salaire. Il n'est pas besoin de revenir sur les effets pervers d'un tel fonctionnement, même s'il était animé de bons sentiments populistes. Mais on sait depuis octobre 1988 qu'il est dépassé. Du moins le croyait-on.

Pour démontrer que les Algériens n'ont pas, ainsi qu'il l'affirme, des revendications politiques, le pouvoir est contraint de laisser faire l'informel et de redistribuer un peu plus pour ceux qui ont de l'emploi. Les travailleurs et les différentes corporations qui, depuis des années, ferraillent pour améliorer leurs revenus, ont bien senti qu'il existe une opportunité revendicative à saisir dans cette phobie de la politique du pouvoir.

Toute contestation sociale pouvant devenir politique, ce qui était refusé hier devient accessible aujourd'hui. Les temps de révolution chez les voisins deviennent ainsi des temps de revendications ici. Toute la question est de savoir si la rente est suffisante pour servir tout le monde…

Le pouvoir algérien, à force d'œuvrer à différer la réforme politique, prend le risque d'une course dispendieuse sans fin derrière les revendications sociales. Le bon sens aurait commandé de faire de la rente un moyen de lancer une réforme inévitable et non de la contrarier. Mais on a l'habitude. Le seul moment où il a été question de réformes politiques en Algérie a été celui où les caisses de l'Etat étaient - presque - vides.

vendredi 4 mars 2011

La khaïma démentielle de Kadhafi

Par K.Selim

Kadhafi a parlé avec un message confus : il n’a pas le pouvoir mais il ne lâchera pas de pouce de pouvoir. Celui qui ne reconnait aucune loi a fait une lecture ennuyeuse et sinistre du code pénal. Cet homme délire. Il a affirmé qu’il n’a pas encore fait usage de la violence. Après des centaines de morts, ce propos est sinistre. Le mot tyran est insuffisant. Le régime libyen met en œuvre une politique de la terre brûlée face au soulèvement de la population qui ne supporte plus les absurdités couteuses d’un clan qui a transformé un pays en une khaïma démentielle. On l’a déjà dit et on ne le redira jamais assez, cette révolte n’est pas motivée par la misère, même si la répartition des richesses en Libye est très inégale ; même si Kadhafi et son clan considèrent les ressources du pays comme une propriété privée. Mais même cette appropriation n’est qu’un élément de plus dans un rejet plus radical et plus profond. Kadhafi a cru avoir malaxé libyens à son image tortueuse et délirante. Or, cette société a conservé le souvenir d’une période où elle était une société, traditionnelle sans doute, mais une société normale. Le fait que les contestataires aient ressorti les drapeaux de la Libye de l’indépendance est significatif de l’ampleur du rejet de l’infâme sauce verte dans laquelle Kadhafi n’a cessé de les enfoncer. Les libyens ont bien entendu vécu, comme beaucoup d’autres peuples, avec passion les mouvements pour la dignité qui ont emporté les dirigeants des deux pays voisins. Ils l’ont ressenti avec d’autant plus de force que de nombreux libyens qu’ils soient des « anciens » où des jeunes qui ont acquis une instruction moderne ne supportaient plus d’être la risée du monde en raison d’un raïs erratique qui a abandonné toute idée de gouvernance et qui aime à se donner en spectacle. Tout en refusant que son pays soit doté d’institutions rationnelles et d’infrastructures fonctionnelles. Conspirateur permanent, cet homme pense que son peuple est continuellement entrain de comploter d’où cette prolifération de milices qui surveillent et se surveillent. Pour les libyens, cet homme et son régime sont une plaie permanente. Il était grotesque, le voilà qui montre le visage atroce de bourreau de son propre peuple. Le recours à des mercenaires qui sèment la mort de manière indiscriminée en dit long sur les mœurs du clan au pouvoir. La folie criminelle de ce régime est sans limites comme le démontre l’utilisation de l’aviation militaire pour réprimer des manifestants. Le discours à la fois incohérent et pervers prononcé par le Guide dans son camp retranché de Bab Azizia confirme la détermination du clan à ne rien lâcher. En annonçant qu’il se préparait à recourir à la force pour écraser les « rats » qui protestent dans les rues du pays, Kadhafi indique clairement que le déchainement de violence de ces derniers jours n’est rien comparé à ce qui risque d’arriver. En lisant ostensiblement des passages de Code pénal, le Grand Leader justifie la mort qu’il s’apprête à infliger à tous ceux qui osent le contester. La péroraison de Bab Azizia derrière une rhétorique anti-américaine usée jusqu’à la corde a constitué un appel direct à la grande peur des occidentaux, celle de l’établissement d’un régime islamiste inspiré par Ben Laden. La performance de Kadhafi est l’illustration implacable de l’adage qui veut qu’un pouvoir absolu rende absolument fou. Il faut espérer que le crépuscule sanglant de ce dictateur ubuesque soit bref et que l’opinion mondiale réagisse enfin avec fermeté contre la spirale d’horreur dans laquelle ce tyran et son clan veulent précipiter le peuple de Libye.

La démocratie arabe, selon Mme Clinton

Par K.Selim
"Il est temps d'entendre l'appel de la jeunesse des rues de Tunis, de Tripoli et du Caire!". Ce merveilleux appel est celui lancé, hier, à Genève, au Conseil des droits de l’homme par Mme Hillary Clinton, ministre des affaires étrangères de M.Barack Obama. Que c’est beau ! Bien entendu, la secrétaire d’Etat américaine n’a pas résisté à l’envie de marquer un point contre l’Iran en se demandant, ingénument, « Pourquoi le peuple de Tripoli pourrait accéder à la liberté et non celui de Téhéran?". Oui, le peuple de Téhéran mérite d’accéder à la liberté, mais la représentante de l’Empire oublie de noter que les peuples de Tunisie, d’Egypte et même de Libye se sont rebellés contre des gouvernants amis des Etats-Unis. Peut-être – mais cela mérite d’être vérifié – que ce discours est une sorte de mea-culpa implicite qui annonce un changement de politique. Les « remparts » érigés contre les peuples n’ayant de toute évidence pas tenus, autant faire semblant de les accompagner en énonçant que les « changements ne peuvent s'imposer que de l'intérieur! ». Voilà qui est d’une grande justesse à condition de ne pas oublier de rappeler que dans de nombreux pays arabes, les changements voulus « de l’intérieur » ont été constamment entravés de l’extérieur. Le cas de l’Egypte est bien entendu édifiant. Le cas de la Palestine aussi où le peuple a été puni, assiégé et affamé, pour avoir voté pour un parti qui n’agrée pas à Israël et aux Etats-Unis. Curieusement, Mme Clinton, estime que le cours des évènements en Egypte et en Tunisie aurait discrédité les « mouvements extrémistes » - on suppose qu’elle veut dire islamiste – qui ne « sont pas parvenus à renverser les pouvoirs en place, contrairement aux mobilisations pacifiques ». L’argumentaire est spécieux. Ni en Egypte, ni en Tunisie, des mouvements « extrémistes » ne cherchaient à faire tomber le régime par la violence. Mme Clinton interprète l’histoire à l’aune de ses propres œillères. Il y a bien un courant islamiste en Egypte mais, hormis des petits groupuscules restreints, il n’a jamais prôné la violence. Idem en Tunisie. Mais il est clair que pour Mme Clinton – et M.Obama aussi – tous ceux qui estiment qu’il faut être ferme avec Israël et refuser ses faits de violence sont des « extrémistes ». Qu’ils soient islamistes, laïcs, centristes ou libéraux… C’est cela le critère. M.Obama trouve normal qu’Israël occupe les territoires palestiniens et organise la purification ethnique. Il trouve que Mahmoud Abbas est un « extrémiste » car il n’a pas accepté de demander le retrait d’une résolution soumis au Conseil de sécurité qui condamne la colonisation. Mme Clinton considère que la violence israélienne n’est jamais condamnable et que la résistance des palestiniens l’est toujours. Même quand elle s’exprime dans la manière ultra-molle de Mahmoud Abbas. De quoi rester très dubitatif quand on l’entend proclamer que le soutien aux transitions en cours vers la démocratie dans le monde arabe est "un impératif stratégique". En réalité, les Etats-Unis ont constamment entravé les élans des peuples arabes vers la liberté. Leur soutien aux transitions en cours a pour but de les circonscrire. Un processus démocratique sérieux en Egypte ne pourra qu’entrainer un changement – à défaut de bouleversement – de la politique du pays à l’égard d’Israël. Gageons que dans ce cas, l’Egypte sera soumise à d’intenses pressions et que si elle ne cède pas, elle deviendra un pays « extrémiste ». Le discours « démocratique » de la grande démocratie américaine restera toujours sans crédit en raison de la complicité indéfectible des dirigeants américains dans l’oppression des palestiniens. Dans le monde arabe, les opinions attendent que la démocratie victorieuse en Egypte réaliste l’ajustement nécessaire en faveur des palestiniens. Manifestement, ce n’est pas la même démocratie que souhaite Washington.

La loi et l’agenda

Par M.Saâdoune

«L'État prend des mesures en commençant par les questions prioritaires pour le citoyen d'ordre économique et social (…). Les préoccupations politiques suivront et c'est le gouvernement qui décidera du moment opportun ». Le propos du ministre de l’intérieur, Dahou Ould Kablia, est limpide sur la manière dont le gouvernement voit les choses. Cela d’ailleurs se traduit par une série de mesures dont certaines font grincer des dents tant elles sentent fort le populisme et l’improvisation. Il n’y a rien de surprenant de voir le pouvoir agir dans cette direction puisqu’il croit que les algériens n’ont pas de demandes politiques ; ou que les mesures à caractère social – et économique ? – qu’il prend tendraient à réduire l’importance de cette demande. Le diagnostic ou l’appréciation traduisent une vision très discutable. Il n’est même pas nécessaire d’essayer de décortiquer la philosophie qui sous-tend ce genre d’assertion. Il faut admettre que cette vision existe et que cela fait partie du droit élémentaire d’avoir des convictions. Par contre, ce que M.Ould Kablia ne peut ignorer est que les droits légaux consacrés par la Constitution et les lois ne sont pas subordonnées à la vision du monde du gouvernement et à son agenda. Le gouvernement a toute latitude d’essayer de convaincre les algériens qu’il s’occupe des questions économiques et sociales et que cela est la chose la plus importante à ses yeux, cela ne lui octroie pas le droit de suspendre un droit légal. Créer un parti politique est une affaire de citoyens qui n’est pas tributaire des « priorités » du pouvoir politique. Il y a une loi qui fixe les conditions de création d’un parti, les pièces justificatives à fournir et l’autorité administrative chargée de recevoir le dossier et de délivrer l’agrément. Formellement, il s’agit d’un processus administratif qui ne dépend pas d’un quitus politique du pouvoir, ni de sa disponibilité, ni de son emploi du temps. Aucun souci prioritaire de l’Etat ne doit donc permettre de justifier la suspension de fait de l’application de la loi. La levée officielle de l’état d’urgence ne permet plus de masquer qu’on est devant une entrave à l’exercice d’un droit reconnu par les lois. Même s’il essaie de nuancer l’interdit de fait qui est opposé à des citoyens de créer leur partis politiques, le ministre de l’intérieur sera constamment dans l’impossibilité d’opposer un argument – de droit – convainquant. Le gouvernement fait de la politique – ce qui est la moindre des choses – mais aucune politique ne peut être fondée sur le non-respect de la loi. Ni la Constitution, ni les lois ne soumettent le droit des algériens de créer des partis où des associations à un agenda gouvernemental particulier. Aucune loi n’est faite pour n’être appliquée que quand le gouvernement le veut bien. Les questions prioritaires d’ordre économique et social qui sont mises en avant par le gouvernement ne peuvent servir d’argument ou de justification à la non-application de la loi. Il n’est pas inutile de rappeler que le respect de la forme de la loi est primordial car il préjuge sur le fond. L’application de la loi – de toutes les lois – est une obligation permanente. Et il faudra sans doute le rappeler avec vigueur à chaque fois qu’un responsable laisse entendre que l’exercice des libertés et des droits reconnus par la Constitution n’est pas une priorité et qu’il peut de ce fait être suspendu… jusqu’à ce qu’il veut bien.

samedi 15 janvier 2011

ENTENDEZ-VOUS CETTE IMMENSE CLAMEUR QUI VIENT DE L'EST…

ENTENDEZ-VOUS CETTE IMMENSE CLAMEUR QUI VIENT DE L'EST…
par K. Selim

Les gouvernants algériens entendentils cette immense clameur qui vient de l'Est ? A voir l'absence de couverture de la télévision algérienne qui rate volontairement un événement historique considérable, la réponse est indubitablement «oui». Mais quelle lecture en font-ils ? Se contentent-ils d'un simpliste «l'Algérie n'est pas la Tunisie ?». Si tel est le cas, il faudra peut-être leur dire de tendre l'oreille à ces très nombreux Algériens qui disent leur grande admiration pour les Tunisiens.

Oui, des milliers d'Algériens ont suivi sur les chaînes de télévision étrangères, Al-Jazira en premier, ce mouvement irrépressible vers la liberté et la démocratie des Tunisiens. Même ceux parmi les Algériens qui avaient, on ne sait d'ailleurs pourquoi, une certaine condescendance à l'égard des Tunisiens sont admiratifs. Les Tunisiens sont en train de réussir à forcer le passage interdit vers la démocratie et ils sont en train de nous faire rêver. De nous donner envie. «Nous sommes tous des Tunisiens» : c'était, après le discours de la défaite de Ben Ali, le message sms, envoyé à chaud par Mostefa Bouchachi, le président de la LADDH. C'est tout sauf une formule creuse.

On se sent Tunisiens car nous ne voulons pas rester en rade du progrès politique et on ne veut pas rater un autre tournant. On se sent Tunisiens car nous avons le sentiment fort qu'ils viennent, dans la douleur et malgré les tentatives en cours des sbires du régime de semer le chaos, de faire un grand pas en avant. Qu'ils viennent de mettre leur pays dans l'histoire et qu'ils se donnent le bon accélérateur. Oui, les Tunisiens sont admirables. Ils nous donnent une grande leçon de maturité politique et ils doivent encore en avoir pour éviter les pièges que leur tend un régime acculé au changement.

Mais les gouvernants d'Alger entendent-ils cette clameur ? Sentent-ils que nous voulons, en cet instant et pour les jours qui viennent, être comme les Tunisiens ? S'ils le sentent - et on a toutes les raisons de croire que c'est le cas -, quelle conclusion en tirent-ils ? On n'est pas dans le secret de leurs pensées et d'ailleurs on attend qu'ils s'expriment sur le sujet sans recourir à la peu crédible assertion de «non-ingérence». On peut néanmoins constater sans faire d'erreur que si la Tunisie est pour de nombreux Algériens un rêve, une espérance, elle est pour le pouvoir algérien un avertissement lourd. Le premier des avertissements est qu'il ne faut jamais croire qu'une gestion autoritaire est capable d'apporter de la tranquillité. Beaucoup croyaient que la Tunisie était définitivement tenue, soumise, contrôlée, que rien ne pouvait ébranler un régime qui avait de surcroît la bénédiction de Paris et des capitales occidentales. Ben Ali et ses courtisans le croyaient sans doute encore plus. Et c'est pour cela qu'ils n'ont rien vu venir du tsunami déclenché par le jeune Bouazizi.

Oui, la démocratie est énervante, fatigante, exigeante, ardue, difficile, mais elle est plus sûre que l'autoritarisme. En démocratie, une crise peut se résoudre par des élections, par une alternance, en autoritarisme cela ne peut se faire que par la violence ou par la révolution. Oui, nous regardons la Tunisie en espérant que nos gouvernants perçoivent la clameur encore inexprimée de très nombreux Algériens qui veulent en ces instants être Tunisiens. Qu'ils comprennent qu'ils ont encore la possibilité d'impulser le mouvement vers la démocratie, l'Etat de droit avant qu'ils ne le subissent. Le régime de Ben Ali a raté ce tournant. Le régime algérien a encore l'opportunité d'agir, de discuter avec ceux qui ne partagent pas ses vues et d'épargner à cette société, trop violentée, une rupture brutale qui peut venir n'importe quand. Oui, espérons que nos gouvernants entendent cette immense clameur qui vient de l'Est.

vendredi 14 janvier 2011

L’irrésistible sens de l’histoire

L’irrésistible sens de l’histoire
Par K.Selim

« Ben Ali, c’est fini ». C’était, hier, au lendemain d’un discours du président tunisien qui cède sur les libertés et la démocratie mais s’accroche au pouvoir jusqu’en 2014. Il y a deux mois, les promesses de Ben Ali lui auraient valu, malgré 23 ans de dictature, un nouveau regain de popularité et auraient données un nouveau souffle à son régime. Aujourd’hui, après 70 morts au moins, ces concessions viennent trop tard pour apaiser les tunisiens. Ils veulent son départ et ne veulent pas s’engager dans une transition démocratique sous sa supervision. Le régime de Ben Ali, à trop regarder les tunisiens sous le prisme du contrôle politico-policiers a fini par être aveuglé par l’apparence de soumission de la société. Or, les tunisiens ne faisaient qu’accumuler du ressentiment à l’égard d’un régime qui insulte leur raison et fait peu cas de leur dignité. Il a suffit d’un déclic tragique donné par l’immolation par le feu du jeune Mohamed Bouazizi pour que la Tunisie se rebelle et se lance à l’assaut du système autoritaire. Ben Ali n’a rien vu venir. Il a piteusement accusé ses collaborateurs de l’avoir trompé. Il propose une démocratisation qu’il a systématiquement refusé aux tunisiens. Il a décidé de « libérer » la presse et de mettre fin à la censure d’internet. Mais pour cela, il a fallu attendre que le danger arrive aux alentours du Palais de Carthage. Dans le précédent discours, Ben Ali accusait les contestataires d’être des terroristes montrant ainsi qu’il n’avait pas saisi les signaux violents qui s’allumaient partout à travers le pays. Non, Ben Ali a écouté les messages de quasi-soutien qui lui venaient de Paris. Comme cette incroyable ministre française des affaires étrangères qui proposait, en réponse à la tragédie qui se déroulait en Tunisie, de transmettre le « savoir-faire » français en matière de répression des manifs à ses anciennes colonies du Maghreb ! A la Tunisie et à l’Algérie pour être précis. Le régime n’a pas capté les bons signaux, il a été aveuglé par les louanges externes qui en font un « rempart » contre l’islamisme. Il a attendu qu’il y ait tant de morts, de souffrances et de destructions pour comprendre que les tunisiens ne supportaient pas son paternalisme et une corruption astronomique subie par les seuls tunisiens, les opérateurs occidentaux en étant protégés par leur statut. Si la réponse est juste : démocratie, justice, liberté d’expression, les tunisiens ne lui font pas confiance pour les mettre en application. Hier à Tunis, au lendemain d’un simulacre de manifestation de soutien organisé par le parti au pouvoir, c’est la Tunisie rebelle qui a débarqué au cœur de la capitale porteuse d’un message clair et net : on se contentera d'eau et de pain, mais nous voulons le départ de Ben Ali. Il y a une transition démocratique à organiser mais manifestement les tunisiens ne veulent plus supporter que le symbole du régime continue d’occuper le palais de Carthage jusqu’en 2014. Il y a deux mois, l’offre de Ben Ali aurait été largement acceptée par les tunisiens et par l’opposition. Aujourd’hui, elle apparait comme une diversion tant elle arrive trop tard, après des années d’aveuglement et de fausse assurance conférée par l’autoritarisme. Il y a deux mois, il était encore minuit moins cinq pour Ben Ali. Ce n’est plus le cas. C’est un avertissement à tous les régimes de la région. C’est un avertissement au régime algérien qui continue de verrouiller le champ politique. La gestion autoritaire est en définitive la garantie de la surdité politique, une source sure d’auto-intoxication. Ce qui se passe en Tunisie, où les élites ont montré qu’elles peuvent être à la hauteur, n’est pas improbable en Algérie. Il vaut mieux ouvrir avant d’y être contraint. Les mécaniques des révoltes et des révolutions sont imprévisibles et insondables.

mercredi 12 janvier 2011

Lorsqu’un jour le peuple veut vivre….

Par K.Selim



« Lorsqu’un jour le peuple veut vivre….

Force est pour le destin de répondre

Force est pour les ténèbres de se dissiper

Force est pour les chaînes de se briser ».



Tous les tunisiens – beaucoup d’algériens aussi – connaissent ces vers puissants du grand poète Aboul-Kassem Echabi. La caste dirigeante tunisienne aussi connait ces vers du poète national, elle a cependant depuis longtemps cessé d’en saisir le sens profond. Notamment, le fait qu’ils expriment – et exprimeront toujours – un rejet de toute forme d’oppression, même celle qui se couvre des habits usés du paternalisme. Depuis le 17 décembre dernier, à la suite de l’acte désespéré d’une jeune victime d’une hogra policière, la Tunisie réelle, reprend en chœur les vers du poète. Force donc pour le régime de céder ! Et il cède, mais avec parcimonie, à reculons, comme s’il n’avait pas encore compris l’ampleur de la colère. Comme s’il ne saisissait pas le niveau de la détermination des tunisiens, des classes populaires, des élites et même d’une partie de la bourgeoisie à en finir avec un système qui humilie leur intelligence et fait peu de cas de leur dignité. Le président Ben Ali a limogé son ministre de l’intérieur, Rafik Haj Kacem. C’est un signe, mais c’est une ouverture insuffisante. Trop peu pour apaiser un des plus grands mouvements de contestation sociale et politique depuis l’indépendance du pays. C’est trop peu pour une société qui a déjà subi des pertes humaines élevées pour avoir repris une parole confisquée depuis deux décennies au moins. Le chef de l’Etat a ordonné la libération des personnes arrêtées depuis le déclenchement de la contestation. Il lui reste encore à sortir des logiques répressives. Et à prendre acte, enfin, que le peuple tunisien est majeur et que les promesses d’emploi annoncées ne constituent pas une réponse à cette appel irrépressible à la liberté et à la dignité qui s’est étendu de Sidi Bouzid à l’ensemble de la Tunisie. Le pouvoir tunisien se tromperait lourdement si au lieu d’entendre son peuple, il se dit que la faible réaction de l’Europe et singulièrement celle la France, sont les « bons signaux » à enregistrer. Dans ce registre, on a pu voir une intervention lamentable de l’ambassadeur de Tunisie à l’Unesco dans laquelle il essaye de présenter la contestation sociale dans son pays comme un complot de l’AQMI. Il agitait avec une joie mauvaise un communiqué très opportuniste d’un certain Droudkel, émir du néant qui ne représente que lui-même. Si le pouvoir tunisien est, aujourd’hui, du même niveau que son représentant à l’Unesco, il faut craindre pour ce pays. Et pour les tunisiens. La Tunisie est grosse d’une volonté de changement. L’intelligence, s’il en reste encore au pouvoir, commande d’en prendre acte et de l’accompagner. Ce pays, contrairement à l’Algérie, ne dispose pas d’une rente sur laquelle le pouvoir peut jouer. Il est face au réel. Il y a eu une prise de parole de la part de la population et elle ne veut plus la céder contre de vaines promesses. Pas même quand les pays européens chantent les louanges du régime en place. Le pouvoir tunisien mettra en danger le pays s’il ne comprend pas que cette clameur est une réappropriation de soi… Le peuple de Chabi veut vivre libre, il faut bien que le Destin réponde. La caste au pouvoir connait Chabi. Elle doit encore saisir qu’il exprime profondément ce nouvel élan tunisien. Elle doit y répondre avant que la Tunisie ne se mette à déclamer un autre poème de Chabi et ces vers à la tonalité bien moins apaisante : « Ô tyran oppresseur... Ami de la nuit, ennemi de la vie... ». Ben Ali doit faire vite.



http://www.lequotidien-oran.com/?news=5147953om/?news=5147953