mardi 15 juillet 2008

Un acte manqué réussi

Les caricatures – on le sait depuis les années trente – cela mène à tout. Au pire et rarement au meilleur. Barack Hussein Obama, le mal nommé puisque ce nom rime trop bien avec Oussama, l’apprend à ses dépens. Dans le journal The New-Yorker, solidement de gauche et peu suspect de racisme, on le voit, dans le bureau ovale, vêtu d’une djellaba et d’une chéchia (c’est donc un islamiste) ; sa femme qui pourtant s’appelle Michelle – et non Aïcha – en treillis, porte une Kalachnikov en bandoulière et, en signe de connivence, cogne son poing contre celui d’Oussama… Oh, pardon, d’Obama. Mais cet Oussama-là n’est pourtant pas loin, puisqu’on voit son portrait au-dessus d’une cheminée dans l’âtre de laquelle la bannière américaine flambe gaiement. The New-Yorker a caricaturé la propagande qui cible Obama pour mettre en évidence « Les politiques de la peur ». Les partisans d’Obama n’ont pas du tout apprécié l’exercice. Ceux qui estiment que les intentions du journal ne sont pas en cause et qu’il cherchait à se moquer des discours racistes et des clichés qui se répandent contre le premier Black à approcher de la Maison Blanche admettent qu’il a plutôt raté son coup. En Algérien, on dirait « Ja Ikhalelha, Aamaha », en voulant ajouter du khôl autour de son œil, on aveuglé la belle. Un ami qui se passionne pour les States et qui a suivi l’étoile montante d’Obama n’est pas d’accord : on avait bien l’intention d’aveugler la dame pas de lui mettre du rimmel. « Je doute fort que l’amateurisme soit à l’origine de cette ‘’bêtise’’, tant les implications immédiates d’un tel dessin sautent aux yeux du plus frustes des analystes ». Si les gens du New-Yorker pensent qu’ils ont publié une caricature au second degré pour tourner en dérision les discours de haine, d’autres estiment que l’on se situe dans registre du subliminal pervers, celui qui réalise la synthèse de toutes les peurs en faisant mine de les dénoncer. Etre musulman, ce que Barack Obama, s’échine à nier, est si « évidemment » dangereux et grave. C’est ce qui fait, que même sans le voir, même en le traitant de tous les noms d’oiseaux, Oussama Ben Laden, s’installe dans les murs à la place d’Abraham Lincoln comme le grand inspirateur obscur. Ses idées s’énoncent d’elles-mêmes avec l’image de la bannière étoilée qui brule : détruire l’Amérique. Vu de ce point, on a bien un dessin digne de l’extrême-droite européenne qui a fait le lit du nazisme. Mon ami, qui lit aussi le New-Yorker, pense que ce journal est trop intelligent pour ne pas avoir envisagé que cette lecture sommaire est celle qui restera quand le semblant de finesse aura passé. Il n’y a donc pas erreur, pense-t-il. Aucune. Décodé politiquement, cela signifie que Barack Obama, malgré les gages qu’il a donnés, malgré sa visite immédiate à l’AIPAC dès son investiture pour annoncer que Jérusalem sera la capitale éternelle d’Israël, n’arrive pas à surmonter toutes les réticences du lobby sioniste. Mon ami qui répugne aux théories du complot a une explication simple : la caricature des caricatures est un acte manqué réussi, le signal de la fin des inhibitions. « Si un journal comme le New Yorker le fait, cela signifie que tout le monde peut exploiter le filon. Ce journal a dessiné tout haut ce que certains cercles, à droite comme à gauche, pensent tout bas » et suggéré que la place d’Obama, musulman malgré-lui et donc terroriste à l’insu de son plein gré, est à Guantanamo et non à la Maison Blanche.

Ahmed Selmane

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