jeudi 3 décembre 2009

Crise entre Le Caire et Alger après un match « total »

Les Afriques n° 99


Investir politiquement dans le football peut rapporter gros ou… coûter cher. Alger et Le Caire, dans un contexte passionnel, misaient gros sur la rencontre entre leurs équipes de foot. A la fin du match, le perdant, l’Egypte, a déclenché une troisième mi-temps sur le front des médias et de la diplomatie.



Par Saïd Djaafer, Alger



Entre Le Caire et Alger, la bataille n’était que médiatique avant que la lapidation du bus de l’équipe de football algérienne, à son arrivée au Caire, tourne au bras de fer politique. Un entretien téléphonique entre les présidents Hosni Moubarak et Abdelaziz Bouteflika avait amené ce dernier à maintenir le match du Caire, contre l’avis du staff. En ne perdant que deux à zéro, dans des conditions très particulières, l’équipe algérienne a préservé ses chances de qualification. Et a sauvé la mise au président Bouteflika, qui, en cas d’élimination, aurait été rendu responsable d’avoir naïvement cru aux garanties verbales de son homologue égyptien.


Le coût politique pour Abdelaziz Bouteflika, et le régime en général, risquait d’être élevé en raison de l’indignation générale des Algériens devant l’aplomb des Egyptiens, qui ont nié l’attaque du bus de l’équipe de football et accusé les joueurs algériens de l’avoir mise en scène. Les jeunes Algériens, qui n’ont pas admis que l’on ajoute l’injure à la blessure, s’en sont pris violemment à des intérêts égyptiens, ceux de l’opérateur de téléphonie mobile Djezzy et d’Egyptair. La décision de Bouteflika d’organiser, avec une rapidité inhabituelle au regard des lourdeurs du système, un pont aérien entre Alger et Khartoum, servait à compenser sa crédulité vis-à-vis du président égyptien.

Côté égyptien, Gamal Moubarak, fils du président et son héritier présomptif, s’est ostensiblement investi derrière son équipe nationale. Le match de barrage de Khartoum devait être, avec une victoire acquise d’avance, un moment clé de sa marche à l’intronisation comme futur « Raïs » du pays. Le match de barrage de Khartoum était donc saturé de politique.



Quitte ou double

L’identification absolue des jeunesses des deux pays – danger potentiel pour les deux régimes – à leurs équipes de football rendait cette saturation explosive. A Khartoum, deux équipes se disputaient un ticket pour l’Afrique du Sud, mais en filigrane, deux régimes, dont les ressemblances ne sont pas fortuites, ont joué un étrange jeu de quitte ou double.

Rarement une rencontre de football a été, en raison de l’investissement passionnel des jeunes derrière les équipes, aussi explosive politiquement. Ni les médias, ni les politiques des deux pays n’ont réussi à faire admettre à des rues, algériennes et égyptiennes, à cran que la défaite était une éventualité. Khartoum était devenu un match total : entre joueurs, entre opinions et… entre régimes. Le gagnant, l’Algérie en l’occurrence, rafle la mise, le perdant, l’Egypte, se retrouve en… enfer. Et se devait de gérer un retour de boomerang de la déception, d’autant plus cuisante que la pédagogie élémentaire sur les issues d’un match de football avait été éludée… L’investissement était élevé, la perte risquait d’être sévère…



Formidable opération médiatique

Le Caire a décidé alors d’organiser une formidable opération médiatique autour des prétendus « massacres » perpétrés à Khartoum par les supporters algériens. Les télévisions égyptiennes diffusaient des appels téléphoniques dramatiques de citoyens égyptiens à partir de la capitale soudanaise, décrivant des scènes d’apocalypse… De la démesure, qui servait, in fine, à faire diversion, à ajouter une troisième mi-temps à ce match total. En réalité, il ne s’est rien passé à Khartoum, sinon un unique incident mineur. Le gouvernement soudanais, qui a mobilisé plus de quinze mille policiers pour assurer la sécurité d’un match imprévu, n’a pas apprécié la campagne de communication cairote. L’ambassadeur égyptien a été convoqué pour s’entendre signifier le mécontentement soudanais. « Le Ministère des affaires étrangères a convoqué l’ambassadeur d’Egypte pour l’informer du rejet par le Soudan des informations diffusées par des médias égyptiens concernant les événements d’après match », a annoncé Khartoum dans un communiqué. « Plutôt que de souligner tout ce que le Soudan a fait pour ce match, l’accueil, l’hébergement de près de 25 000 personnes et la sécurité, les médias égyptiens ont diffusé de fausses informations », a expliqué le porte-parole du Ministère soudanais des affaires étrangères, Mouawiya Osmane Khalid.



« Le Maghreb existe enfin, je l’ai vu et entendu »

Les Egyptiens ont essayé de calmer les Soudanais, mais avec l’Algérie, c’est l’escalade : rappel de l’ambassadeur d’Egypte à Alger, manifestation violente devant l’ambassade au Caire, appel à renvoyer l’ambassadeur algérien… Le fils aîné du président égyptien, Alaa Moubarak, a apporté sa contribution en accusant les Algériens de s’être livrés à des « actes de terrorisme… avant, pendant et après le match », qualifiant les supporteurs algériens de « mercenaires ». Samedi, devant le Parlement égyptien, et sans citer nommément l’Algérie, le président Hosni Moubarak a déclaré : « L’Egypte ne fera pas preuve de laxisme envers ceux qui portent atteinte à la dignité de ses citoyens. » Les Algériens sont effarés par l’outrance des attaques et des insultes proférées sur les chaînes de télévision égyptiennes.

Jusqu’où peut déboucher la crise diplomatique entre l’Algérie et l’Egypte ? La rupture des relations diplomatiques n’est pas encore envisagée… La Ligue arabe appelle à la retenue. Le pouvoir algérien, naturellement moins contraint, a choisi de ne pas surenchérir. Mais les traces de ce match total seront durables. Au Caire, où la campagne anti-algérienne reste soutenue, des intellectuels appellent à en finir avec le panarabisme dans « lequel l’Egypte donne, sans recevoir en retour que de la haine ». En Algérie, beaucoup ont noté que de Casablanca à Gasfa en Tunisie, la victoire de l’équipe algérienne a été célébrée avec autant de joie qu’à Alger… « Le Maghreb existe enfin, je l’ai vu et entendu » a écrit, de Casablanca, un vieux militant à des amis algériens, en racontant la clameur qui s’est élevée au Maroc après le but algérien et les concerts de klaxons d’après-match.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Au-delà des manipulations de haute voltige des deux régime, ce qui est concternant c'est l'attitude ds artistes, des intellectuels et médias égyptiens.

Ils ont embarqué dans la campagne comme un troupeau dirigé par un beger fou.

Ni discernement, ni bon sens, ni raison.

Sur ce point il y a de quoi désespérer des élites de ce pays.

RyMantys a dit…

Autre constat à l'issue de ces évènements: Les Algériens ont su contourner le bouclage du champ médiatique. Youtube et Dailymotion, médias libres à moindre prix! Pourvu qu'"ils" n'aillent pas s'inspirer du voisin maghrébin tunisien...