samedi 23 mai 2020

A nos frères dans leur mètre carré de prison

Chronique lue vendredi dans le numéro 21 de Radio Corona

Demain - ou après demain - c’est l’Aïd. Le plus étrange des Aïd. La règle est d’oublier les difficultés et les peines pour faire des voeux, forcer la joie et faire preuve d’optimisme. De l’optimisme, je n’en manque pas et je pense que c’est le cas de beaucoup d’entre-nous. Ce que les Algériens, dans la diversité et la pluralité, ont accompli en une année de Hirak est considérable. Le 22 février dernier j’ai écrit un article en disant que le pays avait passé une “année meilleure que mille mois”. Mille mois, c’est 83 ans. C’est un élan prodigieux. Le  Hirak a restauré l’image de l’Algérie que le régime a considérablement abîmée avec un malade comme apparence présidentielle.

Grâce à sa jeunesse, inventive et plein d’humour, le pays s’est débarrassé de la poussière qui obstruait les vues et la perspective. Les jeunes ont fait du Hirak une fête et une promesse. Mais le plus impressionnant est que ces jeunes avaient pleinement conscience que rien ne sera donné et qu’il faudra faire preuve de patience.

Faire le choix de la silmiya, c’est d’emblée s’inscrire patiemment dans un travail long. Le plus important est que le Hirak a mis la question des libertés au centre de tout. C’est essentiel et c’est bien sur ce terrain que le régime mène la contre-offensive en essayant de changer de sujet, en relançant des débats manoeuvriers autour des questions identitaires. La source d’optimisme est là, la défense des libertés est une cause populaire, ce n’est pas une exigence petit-bourgeoise, comme certains se plaisent à le dire.

Je n’ai pas de peine à être optimiste, mais il m’est difficile de forcer la joie en cette veille de l'Aïd. Comment parler de joie alors que des Algériens sont en prison pour avoir exprimé des opinions et des idées ou pour avoir faire leur job, comme les journalistes?

Je ne me sens pas capable de dire ces pauvres mots de consolation habituels aux parents: 3lahbass lerjal”, “la prison c’est pour les hommes”. Car ce n’est pas vrai, dans un pays indépendant, libéré par les sacrifices des centaines de milliers de femmes et d’hommes, la prison n’est pas pour les hommes ou les femmes qui expriment des idées. La prison, c’est pour les voleurs, les violeurs, les criminels.

Un ami, Amin Khan, poste depuis quelques jours de photos d’identité des héros du mouvement national et de la guerre de libération. Ce qui frappe, c’est leur jeunesse et la détermination que nous devinons chez eux. Beaucoup de ces hommes ont fait de la prison et c’était un parcours normal du combattant sous l’oppression coloniale. Mais nous sommes un pays indépendant et il n’est pas normal que les enfants des combattants d’hier qui ne réclament que la citoyenneté et la liberté soient emprisonnés.

Le régime livre un combat d’arrière-garde et il fait, une fois de plus, dans le gaspillage des opportunités. Car ce régime gaspille beaucoup, les ressources et le temps et sa manière de répondre aux demandes citoyennes le confirme. Choisir le chemin de la répression et de l’autoritarisme ne fait qu’accentuer le ressentiment et les colères, c’est s’interdire de saisir la chance historique de contribuer avec le mouvement populaire à sortir le pays de l'impasse.

Les difficultés majeures qui s’annoncent ne sont gérables que dans le cadre d’un Etat qui bénéficie de l’adhésion du plus grand nombre. Croire que le baston peut remplacer l’adhésion libre, c’est cela le pari le plus risqué pour l’avenir du pays, son intégrité, sa souveraineté … C’est même une folie.

En Août 2012, à Sétif, Bouteflika, c’est sans doute un de ses derniers discours, a lancé son fameux “Tab Jnana”. Bien sur, c’était une déclaration sans lendemain. Kan yekhrot. Mais le constat était juste, le “tab jnanhoum” vaut aussi bien pour Bouteflika que pour  un régime vermoulu, gaspilleur et où la corruption, ainsi que l’a montré le procès des Ouyahia and co, dépasse la plus fertile des   imaginations.

Même si on a peu de chance d’être entendu, il faut toujours interpeller la raison des gouvernants: le monde va devenir encore plus dangereux, plus compliqué et seule une adhésion libre des Algériens dans le cadre d’un Etat de droit permettra de gérer les chocs à venir et d’avancer. C’est ce que le Hirak vous dit. L’Algérie peut être un jardin fertile si un système tab jnanou cesse de l’assécher et laisse sa jeunesse l'irriguer d’intelligence, de culture et de travail.

Mes pensées vont à nos prisonniers, à leur famille. Il se trouve que je connais le père et la mère de Khaled Drareni, ce que j’ai envie de leur dire vaut aussi pour toutes les familles de prisonniers: vous pouvez être fiers de vos enfants, ils sont nos éclaireurs, ils sont bien l’Algérie qui s’est réveillée d’une longue léthargie et qui continuera d’avancer. 

Je termine par ce texte de Mahmoud Darwich intitulé : “Un mètre carré de prison”

C’est la porte, et derrière, l’éden du cœur. Nos choses, 
tout ce qui nous appartient, s’estompent. Porte est la porte, 
porte de la métaphore, porte du conte. Porte qui épure septembre.
Porte qui ramène les champs à la genèse des blés. 
Nulle porte à la porte, mais je peux accéder à mon dehors,
 amoureux de ce que je vois et ne vois pas. 
Tant de grâce et de beauté sur terre, et la porte serait sans porte ? 
Ma cellule n’éclaire que mon dedans. 
Que la paix soit sur moi, et paix sur le mur de la voix. 
En louange à ma liberté, j’ai composé dix poèmes, ici-là et là-bas.
 J’aime les miettes de ciel qui s’infiltrent par la lucarne, un mètre de lumière où nagent les chevaux, 
et les petites choses de ma mère… 
Le parfum du café dans les plis de sa robe quand elle ouvre la porte du jour à ses poules. J’aime la nature entre automne et hiver,
 et les fils de notre geôlier, et les journaux étalés sur les trottoirs lointains. 
Et j’ai composé vingt chansons pour maudire le lieu où il n’y a pas place pour nous. 
Ma liberté : être à l’opposé de ce qu’ils voudraient que je sois. 
Et ma liberté : élargir ma cellule, poursuivre la chanson de la porte. 
Et porte est la porte. Et nulle porte à la porte, 
mais je peux accéder à mon dehors…



متر مربع في السجن


هو البابُ، ما خلفه جنَّةُ القلب. أشياؤنا
- كُلُّ شيء لنا - تتماهى. وبابٌ هو الباب
بابُ الكنايةِ، باب الحكاية. بابٌ يُهذِّب أيلولَ
بابٌ يعيد الحقولَ إلى أوَّل القمحِ.
لا بابَ للبابِ لكنني أستطيع الدخول إلى خارجي
عاشقًا ما أراهُ وما لا أراهُ
أفي الأرض هذا الدلالُ وهذا الجمالُ ولا بابَ للبابِ؟
زنزانتي لا تضيء سوى داخلي
وسلامٌ عليَّ، سلامٌ على حائط الصوتِ
ألَّفْتُ عشرَ قصائدَ في مدْح حريتي ههنا أو هناك
أُحبُّ فُتاتَ السماءِ التي تتسلل من كُوَّة السجن مترًا من الضوء تسبح فيه الخيول
وأشياءَ أمِّي الصغيرة
رائحةَ البُنِّ في ثوبها حين تفتح باب النهار لسرب الدجاجِ
أُحبُّ الطبيعةَ بين الخريفِ وبين الشتاءِ
وأبناءَ سجَّانِنا، والمجلاَّت فوق الرصيف البعيدِ
وألَّفْتُ عشرين أُغنيةً في هجاء المكان الذي لا مكان لنا فيهِ
حُرّيتي: أن أكونَ كما لا يريدون لي أن أكونَ
وحريتي: أنْ أوسِّع زنزانتي: أن أُواصل أغنيةَ البابِ
بابٌ هو البابُ: لا بابَ للبابِ
لكنني أستطيع الخروج إلى داخلي، إلخ.. إلخ

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