dimanche 17 novembre 2013

De la destruction de valeurs en terre d’Algérie

http://www.lanation.info/De-la-destruction-de-valeurs-en-terre-d-Algerie_a385.htmlMardi 18 Octobre 2011

 Nous entrons déjà dans le cinquantenaire de l’indépendance. Et ceux, rares, qui continuent chez nous à se torturer les méninges pour essayer de comprendre, loin de se faire les hérauts insidieux ou décomplexés d’une réhabilitation de l’ordre colonial, ne peuvent qu’avouer leur désarroi. Il ne s’agit pas seulement de l’inachèvement et d’une atroce régression par rapport aux valeurs et aux objectifs du mouvement national algérien. Nous sommes en présence d’un phénomène que les économistes appellent « la destruction de valeur ». Ainsi, selon la science économique « l'entreprise détruit de la valeur à partir du moment où elle dégage une rentabilité inférieure à son coût du capital, ce qui est fort logiquement le strict opposé de la création de valeur ». Avec un capital constitué du combat d’un siècle des militants algériens et d’une guerre de libération qui continue, malgré les vicissitudes de faire la réputation du pays ( et on peut ajouter sans risque du pétrole et du gaz à ce capital), on est bien forcé d’admettre que le « Système » - cette chose qui peut comporter en son sein des gens lucides mais dont la seule marge d’expression se résume à des récriminations schizophréniques ou au cynisme de l’impuissance – assume une terrible et durable destruction de valeurs. Ces valeurs détruites ne relèvent pas seulement de l’économie – chose au demeurant réparable – mais concernent aussi, et c’est plus grave, l'ensemble du champ de l'histoire, de la politique et de la morale. A telle enseigne qu’on ne trouve plus beaucoup de gens pour se préoccuper aujourd'hui du bien commun, de l'intérêt général et du destin collectif. Evoquer ces thématiques semble même ridicule et d'une confondante naïveté. Soyons-le donc. Et avant que ce système ne prenne en charge les commémorations spectacles qui empêchent l’autoréflexion sur ce que nous fûmes, sur ce que nous sommes et sur la possibilité de ce qu’on ne soit plus dans un futur proche, rappelons donc que le 6 décembre prochain, cela fera aussi 50 ans, que Frantz Fanon, l’Algérien, l’indigné dont la pensée sonne avec toute sa force originelle, nous a quitté. Oui, relisons ce lointain initiateur mouvement des Indignés qui essaime doucement. Relisons-le à la lumière du gâchis de la destruction de valeur en terre d’Algérie. Relisons en particulier le chapitre intitulé « Les mésaventures de la conscience nationale » des « Damnés de la terre ». Et Indignons-nous. Car, ce dont il était question pour la Révolution algérienne, dans laquelle Fanon s’était engagé corps et âme, c’était de rétablir l’humanité des hommes, de les libérer et de leur rendre la dignité écrasée par un ordre barbare. C’est là, précisément, que réside l’universalité de la Révolution Algérienne. Ne cessons pas de nous indigner. Gardons l’espoir que ceux, qui se réfugient dans le mutisme en abandonnant, ceux qui n’ont pas la chance de savoir, au désarroi et à l’absence de repères, se réveilleront aussi. Et se mettront à parler. Le silence, il faut le dire avec force, n’est plus de la pudeur… Ce silence est complice parce qu’il participe au délitement social et à la déshérence politique, à la destruction de valeurs.

  La bataille du rien et du non sens

 Il y a belle lurette que le FLN échappe à ses militants. C’est suffisant pour ne pas prendre au sérieux la nouvelle « bataille du destin » pour le contrôle de l’appareil que se livrent des apparatchiks de seconde zone, des bonimenteurs de caravansérail. Pas plus qu’il ne faut accorder d’importance à ceux qui veulent ranger le FLN au musée d’une histoire qu’ils ignorent. Choisir entre Belkhadem et Goudjil, c’est choisir entre quoi et quoi ? Que celui qui croit avoir trouvé l’ombre d’une idée dans cette indigeste controverse lève la main… Il est vrai que la barbe de Belkhadem – sa seule idée ? – permet à ceux qui écrivent en se croyant « modernes » de livrer la bataille du rien contre le vide. C’est peut-être cela « l’idée » générale : créer un semblant de vie, là où il n’y a rien qu’un système éreinté abritant des acteurs épuisés à la recherche d’un « truc », plutôt que d’établir un constat de réalité et d’en tirer des conclusions rationnelles. Et puis revoilà, un autre « truc », passablement usé, mettre le parti du FLN au musée. Moderne, n’est-ce pas ? Curieuse contribution à la science politique des scénaristes : mettons le FLN au musée et l’Algérie réglera miraculeusement ses problèmes. L’escamotage en tant que rupture épistémologique ? Et grâce à ce tour de passe-passe la société fera un grand bond en avant ! Mais ce n’est qu’un leurre de plus, réchauffé de surcroit, et que l’on nous ressert avec l’impudence des revendeurs de camelotes périmées qui se donnent des airs de vous rendre service. Et au passage, on aura, sans faire mine d’y toucher, fait de la promotion pour Ahmed Ouyahia, homme sans âge, qui serait le « nouveau » face à « l’ancien ». Face à une réalité têtue, Belkhadem ne croit pas que le FLN soit un parti. Pas plus qu’Ouyahia ne pense que le RND soit un parti.
 Les « animateurs » sans conviction

 Il y a dans la mécanique du système algérien une fonction primordiale qui doit être constamment renouvelée : Celle de fabriquer des « sujets » de diversion. Et les animateurs de devanture – dans la « politique » et les journaux – doivent « briller » dans ce rôle. On leur donne le «sujet » voire « la ligne », ou plutôt le « pitch » dans le jargon du spectacle et à eux de faire preuve d’imagination, d’écrire le scénario et d’assurer la représentation. Difficile de ne pas noter que la qualité des personnalités en charge de « l’animation » et du « divertissement » s’est considérablement détériorée. Au théâtre, autant que le scénario et la mise en scène, interpréter avec un certain savoir-faire et jouer avec « conviction » est primordial pour convaincre le public. En Algérie, la pièce que le système fait rejouer, sans inspiration, à l’infini, est tellement grotesque que les préposés à la gesticulation finissent par ressembler à des marionnettes détraquées. Les ficelles qui les animent sont bien trop grosses pour ne pas être vues. Pendant ce temps, loin du théâtre d’ombres et dans le réel, les gens vivent les affres de l’insécurité. Comme si, à défaut de construire un Etat, d’accepter l’établissement de règles applicables par tous et pour tous, on laissait faire les choses « naturellement »… et de pousser les gens à s’occuper eux-mêmes de leur sécurité. C’est comme si l’on renonçait à créer des règles de vie en commun pour laisser un esprit de milice s’installer… On est loin du FLN, d’Ouyahia et même de l’état de santé de Bouteflika et des « batailles » présumées de succession. Quand il n’y a aucune règle, la succession ne concerne pas la société. Elle ne concerne que les détenteurs d’action de la société anonyme du pouvoir qui ne sait pas créer de valeurs mais excelle dans leur destruction.            
Le chainon manquant


Dans la destruction de valeur réalisée avec constance et détermination, l’exil de la classe moyenne instruite dans les années 1990 est l’une des pires calamités subies par le pays. C’est sans doute, l’investissement le plus colossal de l’Algérie indépendante qui a été dissipé. Cette élite nouvelle, imprégnée par l’histoire et le combat des Algériens durant le vingtième siècle, mais également avisée de l’évolution du monde, aurait dû avoir son heure, après octobre 1988. C’était, avec les réformes, le moment de tourner la page, de cesser de dilapider le « capital » et de créer, massivement, de la valeur. De nouvelles valeurs. Ce n’était pas une affaire d’âge, bien qu’il soit évident partout ailleurs que des quadragénaires sont plus dynamiques et productifs que des septuagénaires … Même si personne ne peut croire non plus, qu’au plan de la vision du monde, qu’un Ouyahia soit plus jeune qu’un Abdelhamid Mehri. Ces dizaines de milliers de cadres que l’Algérie a perdus dans la décennie 1990 et dont le départ ne peut en aucun cas être réduit à la pure dimension sécuritaire sont le chainon manquant, le maillon détruit, qui fait durement défaut au pays. Une bonne partie des lecteurs de l’hebdomadaire La Nation, ceux qui attendaient avec fébrilité sa sortie dans les kiosques, ne sont plus là. Ils sont ailleurs. Ils ont essaimé entre Europe et Amérique du Nord, s’investissent là-bas, bon gré mal gré, et portent, en eux, l’Algérie comme une blessure, comme un échec générationnel. Celui de n’avoir pu empêcher la dilapidation du capital – dont ils font eux-mêmes partie – et de ne pas avoir réussi à transmettre, aux plus jeunes, savoirs et valeurs. La difficulté de penser aujourd’hui le changement, de le cadrer sur la question des normes et des règles, tient aussi à cette amputation. Cruelle. Sans doute irréparable avant très longtemps.

Aucun commentaire: