dimanche 17 novembre 2013

L’étrange éclat du chadlisme en Bouteflikistan immobile

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L’étrange éclat du chadlisme en Bouteflikistan immobile

L’impotence systémique

Ahmed Selmane
Mercredi 15 Août 2012
 
L’exaspération s’est propagée jusqu’à la très urbaine rue Mourad Didouche où l’espace de quelques instants ceux qui ont été privés d’électricité ont eux aussi « coupé la route », le dernier lien présumé entre les algériens et l’Etat. Tout comme Bachdjarrah, El Madania, Bourouba, Tessala-Merdja, Baraki… En ces journées caniculaires d’aout, l’électricité fait des siennes un peu partout dans le pays. Les coupures de courant touchent désormais la capitale, quartier par quartier selon une répartition aussi déroutante que strictement inégalitaire. Ce stress électrique donne, à contretemps et dangereusement, des idées de « printemps » aux algériens qui, en janvier 2011, avaient choisi de ne pas répondre aux appels révolutionnaires d’élites en mal d’audience. Il faut dire que les quelques journées d’émeutes de ce mois-là avaient, sauf pour ceux qui vivent loin des quartiers populaires et dans des zones où l’électricité n’est jamais coupée, un potentiel de guerre civile évident, avec des jeunes très pauvres qui s’en prenaient à l’existence de gens à peine moins pauvres qu’eux. Les algériens ont donc été sages. Dans certains quartiers, on a défendu les édifices publics contre les émeutiers sans attendre l’Etat et ce qui lui tient lieu de représentants. Mais voilà qu’à la faveur d’un été éprouvant, d’un ramadhan sous une touffeur impitoyable, on pousse les algériens à bout. On les « printanise » presque à leurs corps défendant, eux qui recherchent surtout des issues raisonnables, pas destructives et si possible fondatrices. Mais d’où peuvent venir les issues quand le niveau d’incapacité du système atteint des cimes inédites ? Bien sûr, on a fini par comprendre que l’électricité qui s’en va pourrait bien servir d’étincelle à un incendie que les algériens ne désirent pas. Le ministre de l’énergie s’est chargé du message en signifiant urbi et orbi que l’Etat se fend d’un chèque faramineux de 27 milliards de dollars pour Sonelgaz. Pour la plus grande joie des industriels venus de tous les continents, nous aurons donc d’autres centrales pour éluder la colère électrique. Au passage, le ministre a désavoué le patron de Sonelgaz qui avait vaguement évoqué une hausse du tarif de l’électricité. On ne touchera pas au prix. Il est vrai que les considérations technocratiques sur la hausse des tarifs pouvaient passer pour de la provocation en ces temps de coupures brutales et de rages contenues… Mais la bureaucratie vit dans sa bulle climatisée…Il n’en reste pas moins que le ministre a produit la réponse classique du système : dans la phase aigue d’un problème chronique, on sort le chéquier. Va donc pour d’autres méga-centrales électriques. Mais évoquer la rationalisation de la consommation, la chasse au gaspillage, et entonner le grand air du comportement électrique « civique » est une autre paire de manche. Qu’aucun chèque n’est en mesure de résoudre. Dans cette ambiance électrifiée, on devine à quel point le lien social entre l’Etat, ou ce qui en reste, et les citoyens se résume aux deux ultimes leviers d’un régime en phase d’impotence terminale : l’argent et la matraque.

Retour vers le futur ou le grand bond sur place

Ces événements se déroulent dans une étrange vacuité présidentielle que la télévision tente de combler, de manière anachronique, franchement bizarre, par la lecture ânonnée de messages protocolaires à des chefs d’Etats. Quelques oracles – signe évident que les choses ont dépassé le stade de l’étrange – soufflent aux rédactions qu’un «remaniement » arrivera avec l’Aïd. Et on susurre même que Abdelamalek Sellal, éternel candidat au poste de premier ministre, sera enfin promu Premier Ministre. On évitera de donner le nom du futur ministre de la défense que ces mêmes oracles annoncent… pour ne pas contribuer à meubler d’un scoop éreinté un temps définitivement mort. Il vaut mieux regarder ce vide dans les yeux. Certains, relativement âgés, ont le sentiment de revenir en septembre 1988 et ils attendent que le 19 de ce même mois, que le président Chadli Bendjedid prononce un discours qui fera date. A l’époque, certains y avaient vu l’annonce du choc d’octobre, mais ceux qui n’oublient rien se souviennent d’une formule choc : ce n’est plus une affaire d’hommes, mais de système. Chadli Bendjedid avec une partie de ceux qui l’entouraient avait abouti en 1988 à la conclusion que le système était épuisé, irrémédiablement. Il y a donc eu la réponse réformatrice que le système a radicalement étouffée. On a subi pendant longtemps un discours qui pourfendait inlassablement le Chadlisme. Pourtant, en observant ce Bouteflikistan pétrifié, les Algériens qui peuvent comparer trouvent un singulier éclat à une ère vilipendée. Car, en termes de durée, la comparaison est désormais possible. Bouteflika a laissé entendre que Chadli était un amateur. Mais, qu’on le veuille ou non, durant la période où il présidait, les questions fondamentales ont été discutées. Elles ont été ensuite condensées dans un programme cohérent par les « réformateurs ». Ce programme a été entravé et laminé par une contre-réforme qui n’offrait aucune alternative mais dont le seul but a consisté à démanteler ce qui avait été fait. Le système devait être réformé, il a été rétabli dans la plénitude de sa sidérale incompétence. Il est même en cours de battre des records d’impotence dans un climat général de vacuité politique. L’Etat n’existe plus que par le policier et par le carnet de chèques. Abdelhamid Mehri, Allah Yerahmou, mettait en garde contre la personnalisation des questions politiques. Selon le vieux militant, les présidents ont certes un rôle important, mais ils sont avant tout insérés dans un système. Le système sous Chadli disposait encore d’intelligences mobilisées qui cogitaient et recherchaient des issues. Le système sous Bouteflika a cessé de penser, il n’en a plus les moyens. Mais pour quelles raisons et quelle est la différence entre ces deux âges de l’Algérie? Le système sous Bouteflika a tout simplement vieillit, il est usé, perclus, incapable de mouvement et se dirige vers l’entropie. Ceux qui le dirigent n’ont plus la capacité de penser et d’agir, ils sont prisonniers de leurs propres réseaux. Ce système condamné au grand bond sur place n’est plus qu’un sac d’argent et une matraque. Comme le titre prémonitoire d’une pièce de Kateb Yacine, les ancêtres redoublent de férocité, le système de la rente biologiquement périmé n’est plus que nuisance. Il ne secrètera pas d’Andropov ayant raté l’occasion de se réformer avec… les réformateurs. La rente grabataire revisite ses impasses à l’infini, nous entrons bien dans l’ère de l’impotence terminale. 
 

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