mercredi 14 mai 2008

Karl Marx, le come back

Karl Marx, le come back


Depuis la chute du mur de Berlin et l’effondrement de l’URSS, les temps sont américains. Les idées aussi. Les idéologies sont mortes, nous a-t-on dit, et la fin de l’Histoire est au coin de la rue. L’ordre est accompli. Surtout n’invoquez pas ce dénuement du plus grand nombre qui fait la prospérité d’une arrogante minorité de nantis, vous passerez pour des inadaptés, des ringards. Exit Karl Marx, la lutte des classes, exit le rappel des réalités, vous n’êtes plus « in ». Un autre Karl, Rove pour le nommer, ancienne éminence grise de Bush, a énoncé la quintessence des temps présents : « lorsque nous agissons, nous créons notre propre réalité ». L’Empire, le marché et le capitalisme mondialisé l’ont emporté sur les citadelles du socialisme bureaucratique liberticide… C’est fini, y a plus rien à voir sur le marché de l’histoire. Le seul ennui est que la nouvelle réalité, c’est l’ancienne en plus noir.. Amplification accélérée des inégalités entre le nord et le sud de la planète, fracture sociale croissante dans les pays du nord, dégradation des équilibres écologiques et crise alimentaire internationale, conflits, famines… La magie d’un marché n’opère pas, la « main invisible » est une chimère et la Réserve fédérale américaine, comme dans un vulgaire état « dirigiste », refile l’argent du contribuable à la Morgan pour racheter la Bear Stearns en quasi-faillite… Des notions qui semblaient avoir été jetées dans la décharge de l’histoire commencent à revenir dans les discours et analyses d’hommes politiques, de syndicalistes et d’intellectuels. Qui aurait pensé, après l’usage tordu qui en a été fait par les « démocraties populaires », que la notion d’impérialisme connaîtrait une nouvelle fortune ? Ah, cette bonne blague qu’on nous offrait aux dépens des ringards sur la « kasma de Bir Ghebalou dénonçant l’impérialisme…. ». Charmant, n’est-ce pas ? Mais comment qualifier les expéditions militaro-pétrolières, le bellicisme assumé des néo-conservateurs sans revenir à cet impérialisme qu’il ne faudrait plus ni voir, ni nommer… ? Si Karl Marx est mort, la réalité reste marxienne. « Le capitalisme porte la guerre comme les nuées portent l’orage » disait Jean Jaurès, la formule résonne avec une formidable actualité. Bien sûr, on vous invite à vous recentrer sur la « guerre des civilisations », sur le « péril vert », mais vous pouvez constater, en prenant vos aises avec la pensée dominante, que pour les déshérités de ce monde, la domination par les armes et la désinformation permanente est la forme contemporaine de la lutte des classes, de la guerre des riches contre les pauvres. C’est en cours, Marx est de retour et on le revisite, dans un monde encore plus dangereux qu’hier, en le dépoussiérant, en en faisant l’inventaire. Un ami qui a rencontré, il y a quelques mois, la chef de file du mouvement marocain El Adl Wa El Ihsane, Nadia Yassine, m’a raconté sa surprise de l’entendre dire : « le primat de la raison et de la justice se référent naturellement à ma culture, mais la démarche d’analyse politico-économique objective est, pour moi, l’apport décisif de Marx ».

N’en déplaise aux gourous de Wall-Street, l’Histoire est loin d’être achevée… De l’Amérique du sud à l’arc arabo-musulman en passant par l’Afrique - les prophètes de salles des marchés et leurs nouveaux philosophes propagandistes ne l’ont pas prévu – Marx, que l’on pensait irrémédiablement ruiné par les méfaits des apparatchiks et de leurs épigones, se trouve des héritiers inattendus.

Ahmed Selmane

23 avril 2008

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