mercredi 14 mai 2008

Mandouze est parmi nous

Mandouze est parmi nous

Par Ahmed Selmane

La bibliothèque augustinienne d’André Mandouze est à Alger. Elle a été inaugurée lundi au centre d’études diocésain en présence de ses deux filles et de nombreux algériens, musulmans, chrétiens ou agnostiques. Les chercheurs algériens qui s’intéressent à Saint Augustin pourront désormais consulter une bibliothèque patiemment construite durant des décennies par un maître qui a, par delà la mort, décidé qu’il voyagerait encore en Algérie, parmi les algériens. En ces temps stupides où des canards en mal de thèmes persistent à inventer des guerres aux motivations obscures, André Mandouze est, par ce qu’il a été et par ce qu’il est encore, un prodigieux rappel pour les croyants et les incroyants. Cet homme de la Résistance au nazisme est venu chez nous, en 1946, sur les traces de Saint Augustin et il est devenu algérien. Totalement. Il aurait pu s’enfoncer dans le travail académique, mais ainsi qu’il le dit lui-même, « savoir renoncer au moins provisoirement à ses « chères études » fait partie de la carrière d’un homme libre ». C’est en homme libre, en résistant et en chrétien, qu’il a saisi d’emblée l’absurdité de l’ordre colonial. Et il l’a combattu, sans hésitation. L’homme libre s’est pris de passion pour l’Algérie et pour les algériens. L’homme libre disait ouvertement ce qu’il pensait et à la faculté d’Alger, où il devait parler après une grève d’étudiants algériens, les ultras ont préparé la corde où il devait être pendu haut et court. Menacé de mort, il est forcé par les autorités coloniales à quitter l’Algérie. Mais l’homme libre continuera de Strasbourg à dire ce qu’il pense et il se retrouve à la prison de la santé pendant 45 jours pour soutien à la rébellion. Emprisonné pour l’Algérie, c’est un avec l’Algérien Augustin qu’il gère son temps carcéral et nargue les bien-pensants de l’époque. « Sans doute suis-je partial, je l’admets, car je ne peux toute de même pas oublier que – dans ma « solitude pour l’Algérie » au cours d’un engagement visant à ce que les lointains descendants d’Augustin puissent retrouver, dans leur pays, la dignité – je veux dire dans la prison où me jetèrent durant quarante jours quelques irresponsables qui prétendaient diriger la France en 1956, sans doute, dis-je, je ne puis oublier le puissant réconfort, ou plutôt toute la libération que m’a apportée, toute la liberté que m’a assurée, dans la cellule de ma prison, la lecture approfondie du traité augustinien de De l’Ordre, d’un ordre sans commune mesure avec nos petits rangements et arrangements, d’un ordre qui pour moi abolissait, comme aurait dit Mounier, le « désordre établi », d’un ordre qui implique et qu’explique Dieu … ».

Mandouze l’augustinien, donc l’algérien, est revenu à Alger. Il a été une opportunité pour de nombreux algériens d’exprimer leur solidarité à ces chrétiens d’Algérie, qui sont dans le droit fil de l’engagement d’un Mandouze ou d’un Duval, qui vivent leur foi dans l’engagement social et dans le partage. A ces chrétiens, que des musulmans humbles connaissent beaucoup mieux que les scribes qui radotent sur les complots imaginaires, Mandouze, nous a donné l’opportunité de leur dire qu’ils sont bien nos frères.

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