mercredi 14 mai 2008

Le trou noir

Le trou noir

Par Ahmed Selmane

Comment se renouvellent les élites politiques ? Par la démocratie, bien sur. Qu’est-ce que la démocratie ? C’est l’existence d’une scène politique ouverte et pluraliste où les électeurs se chargent, à partir de leurs besoins et de leurs convictions, d’arbitrer librement par les élections entre des partis, des hommes et des programmes en concurrence dans l’accès au pouvoir. C’est cette concurrence qui favorise la circulation des élites. Il n’existe pas de « tare » culturelle algérienne – ou arabe et africaine – qui expliquerait l’absence de circulation des élites politiques. Ce n’est pas une question d’âge, c’est une question de système. Les démocraties non « spécifiques » fonctionnent sur le principe que les acteurs politiques sont comptables de leurs actions et leur mandat est régulièrement mis en jeu. Elles sont constamment en « crise » dans le meilleur du sens du terme : l’existence d’un arbitrage populaire, d’une opinion publique et de médias diversifiés fait que le changement des hommes et des idées est une donnée permanente. Les structures politiques, pouvoir comme opposition, sont dans l’obligation d’aller vers les citoyens arbitres. Un système démocratique s’énonce, par principe, comme imparfait. Le changement est au cœur de la vie démocratique, la « conservation » est au cœur du système autoritaire ou des démocraties spécifiques. Le système politique qui s’organise sur le principe de la conservation et du refus du changement se prive des flux qui viennent de la société et évolue vers une dégénérescence. Le « relifting » qui élève des bureaucrates, par cooptation, au statut d’hommes politiques de substitution n’est pas une solution au problème car il est destiné à prolonger le système et non à le changer.

Pathologie du système

A partir de ces constats basiques – et avérés dans l’histoire des systèmes politiques – il y aurait une certaine incongruité à se lamenter sur l’absence d’une « classe politique » ou d’un « changement des élites politiques » alors que ce qui permet l’existence d’une classe politique et de son renouvellement n’existe pas. Abdelhamid Mehri le constatait récemment dans un entretien au journal l’Expression : « Le pouvoir actuel, en tant que système de gouvernement, a fait son temps. Son architecture et son fonctionnement tendent à éviter ou limiter la démocratie et non à la construire ». Officiellement, l’Algérie est dotée d’une multitude de partis et de journaux et des élections y sont organisées régulièrement. Mais le fait que cela ne génère pas un renouvellement dans les idées et les hommes relève d’une pathologie du système. Des hommes politiques et des militants politiques de grande qualité existent en Algérie mais leur émergence est une quasi-impossibilité dans un système entièrement tendu vers la conservation et sa perpétuation. Il y a une question démocratique non résolue qui rend illusoire l’émergence de nouvelles élites politiques de qualité. Le niveau d’abstention lors des élections est un indicateur : de très nombreux algériens n’accordent aucune crédibilité au jeu politique actuel et à ses acteurs. L’absence d’une scène politique démocratique fige les choses aussi bien au niveau des institutions élues qu’au sein des partis politiques. « La sphère politique et son principal outil, l’information, sont soumis, en Algérie, depuis des décennies, à une gestion administrative d’autant plus pesante qu’elle est occulte et donc non responsable » explique M.Abdelhamid Mehri qui souligne que « le champ politique est jonché de victimes consentantes ou résignées. Les militants des partis politiques et des organisations sociales connaissent parfaitement cet état de choses. Ils constatent, désarmés, que la sphère politique est réduite, en dépit des qualités et des mérites des hommes qui s’y activent, à fonctionner comme un produit dérivé de la gestion administrative et non comme émanation de la dynamique sociale ». Dans un modèle classique en sciences politique David Easton, présente le système politique comme une boite noire qui reçoit des demandes (input) de l’environnement (la société) et les traduits en action (ouput). C’est la démocratie qui permet au système de fonctionner car il en permanence solliciter par la société à changer, à s’adapter et à se renouveler. Dans un système fermé, la boite noire devient un trou noir où les demandes de la société se perdent… A un certain niveau de dégénérescence, la société renonce à s’adresser à la boite noire… Elle s’exprime en dehors du système, par l’émeute par exemple…

13 mai 2008

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