samedi 17 mai 2008

Les modérés, les radicaux et la Nakba selon G.W. Bush …

Les modérés, les radicaux et la Nakba selon G.W. Bush …

Par Saïd Mekki

Que s’est-il passé le jour de la commémoration du soixantième anniversaire de la Nakba ? Dans le silence assourdissant des officiels arabes, des palestiniens ont lancé dans le ciel des ballons noirs. Pendant que le président des Etats-Unis souhaitait un joyeux anniversaire à Israël, Mahmoud Abbas, enfermé dans un processus estampillé américain mais fondamentalement israélien, prononçait un discours pathétique d’impuissance. La solitude des palestiniens est totale. Dans la chronique non-officielle, ce qui sera probablement consigné, au delà de la glose du propos présidentiel, c’est la physionomie et le body-language de George W Bush lors de son discours devant les parlementaires israéliens. Toute la gestuelle traduisait de manière troublante l’expression de sentiments viscéraux à l’endroit de ceux qui résistent encore dans le monde arabe, du Hamas au Hizbollah. Entre deux grimaces et pour la forme - pour sauver la face de ses alliés arabes « modérés » ? – il a rapidement évoqué l’éventualité, sans cesse reportée aux calendes grecques, d’un Etat palestinien. Sans exprimer la moindre mansuétude à l’endroit de ce peuple chassé de sa terre, spolié et massacré, il a annoncé, au contraire, que trois cent millions d’américains – vraiment ? – se tiennent résolument aux cotés des sept millions d’israéliens. Sans doute, pour réduire définitivement les victimes au silence et imposer le diktat pour l’éternité.

Sur un ton pastoral, inaugurant un rôle de prédicateur habité, entre exaltation et illumination, le président américain a aussi livré sa vision du futur régional. A une sérieuse exception près – Israël, démocratie dominante – qui ne souscrirait au tableau idéal du Moyen-Orient dans soixante ans dépeint par George W. Bush devant la Knesset ? Il est plutôt difficile en effet, sauf pour ses propagandistes et au prix de douloureuses contorsions analytiques, de faire passer une organisation coloniale d’inspiration religieuse pour un Etat démocratique. Mais, outre cela, qui serait opposé à l’annonce du triomphe des libertés et des lumières de Rabat à Karachi, du Caire à Bagdad en passant par Ryad, Alger, Damas et toutes les cités, des plus populeuses aux plus modestes, de l’arc arabo-islamique ? Dans soixante ans…En dehors des régimes et de leurs clientèles perfusées à la rente pétrolière, la démocratie, l’Etat de droit et la citoyenneté sont le rêve commun des peuples arabes. Ce qui se révèle involontairement et ironiquement paradoxal dans l’homélie pathologique de Jérusalem est que les alliés dictatoriaux de Monsieur Bush sont précisément les adversaires les plus résolus de cette modernisation politique, les propagateurs les plus enthousiastes de l’archaïsme religieux, les théoriciens les plus acharnés de l’oppression des femmes, des amputations punitives et de l’intolérance violente. Il ne faut pas chercher bien loin pour identifier ceux qui ont propagé les conceptions les plus réactionnaires, les plus médiévales, les moins conformes à l’esprit originel de la religion des musulmans. C’est bien dans les territoires de la « modération » politique qu’est né et s’est développé l’extrémisme terroriste.

Les bons et les mauvais

Dans leur représentation tragique de l’univers, les faucons américains divisent les arabes en deux catégorie : la mauvaise, celle des « radicaux » et la bonne, celle des « modérés ». Ceux qui suivent les instructions de Washington sont bien sur les modérés…Mais que signifie cette modération médiatiquement honorée quand les palestiniens se font massacrer, quand Gaza est affamée, en permanence bombardée, quand même la proposition de paix du Roi Abdallah entérinée par le sommet de Beyrouth est accueillie avec dédain ? Les modérés qui n’apprécient pas vraiment les trublions « radicaux » ont eu le temps de tirer le bilan de leurs concessions et de constater que plus leurs offres tendent vers l’abandon pur et simple, plus elles sont ignorées par les américains. En bonne logique, ces dirigeants devraient constater que la « modération » n’a pas donné de résultat et devraient au moins s’abstenir de dénoncer la résistance faute d’avoir le courage de la soutenir. Le nouveau Moyen-Orient modéré de Madame Rice et des neocons est un Moyen-Orient israélien fragmenté et subalterne, dans lequel les palestiniens devront se résoudre à vivre dans des bantoustans, tandis que leurs frères de l’exil devront faire le deuil sans rémission de leur droit au retour, pourtant reconnu par les résolutions de l’Onu. Le camp de la « modération » figé dans cette impasse, mais, intériorisant l’échec, n’en déduit pas rationnellement que la résistance est non seulement légitime mais est nécessaire et doit être soutenue. En l’espèce, ce défaitisme assumé est l’expression politique accomplie de l’absence de volonté autonome. Ainsi, les palestiniens sont seuls en effet. Si hier encore, le monde bipolaire obligeait à un soutien minimal du combat des palestiniens, aujourd’hui, les régimes voient d’un très mauvais œil la résistance, par trop synonyme de contestation du désordre établi, et s’en remettent totalement aux Etats-Unis. Lesquels sous influence sioniste-chrétienne et néoconservatrice sont plus que jamais alignés sur les intégristes israéliens. Autrement dit, les Etats-Unis souhaitent imposer leur vision idéologique du monde par tous les moyens, et d’abord par la force brute. Quelle est donc cette puissance dont l’action ne se fonde pas sur le droit mais sur des représentations théologiques ? Que reste-t-il du magistère moral qu’elle prétend incarner?

Modération et soumission

Le Président Bush, après avoir adopté une posture prophétique en Israël, s’est rendu en Arabie saoudite pour parler, semble-t-il, de la menace iranienne, de la montée des périls perse et chiite. D’augustes cénacles arabes très modérés écouteront attentivement le président américain défendre la nécessité d’une nouvelle guerre pendant qu’Israël tue tranquillement des palestiniens. Mais les cauchemars des potentats ne sont pas ceux de leurs peuples, loin s’en faut : la résistance victorieuse du Hizbollah de l’été 2006 a été ressentie de l’Atlantique à l’Asie centrale et à l’océan indien comme la résistance victorieuse des pauvres, des déshérités et des exclus face à un ennemi injuste, arrogant et armé jusqu’aux dents par les puissances occidentales. Alors, quid de la « modération » dans son acception impériale ? Ne s’agirait il pas au fond d’un autre mot pour la soumission devant les délires idéologiques du groupe qui contrôle la première puissance mondiale? Devant la Knesset, l’alternative a été réitérée de façon inquiétante par le président Bush. Face au même arbitraire et au même déni, entre obédience et opposition, il n’y a pas effectivement de troisième voie.

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