« Je suis passé par des siècles de bouches cousues.» disait le poète irakien Abdel-Amir Jaras. Un blog pour en découdre, quand on peut, avec le silence.
mardi 23 septembre 2008
Pseudos
Kitabat est un site irakien remarquable : toutes les idées, vraiment toutes les idées, y trouvent leur place. On y parle de politique, d’économie, d’histoire, de littérature, de poésie, on y dénonce, on y appelle à la révolte…
Ceux qui ont la chance et le bonheur de maîtriser la langue arabe devraient y faire un détour, les francophones unilingues – pauvres d’eux ! - rateront beaucoup de choses. Mais, il ne s’agit pas, ici, de faire de la réclame à Kitabat qui n’en a pas vraiment besoin. Il s’agit de signaler quelque chose de grave et poignant à la fois. Depuis quelques jours, sur la page de garde du site, on peut lire un appel sérieux et grave adressé à toutes les plumes qui écrivent et sévissent dans Kitabat et elles sont fort nombreuses.
L’appel, évoquant des menaces réelles, pressantes, sérieuses, de liquidations physiques venant de milieux gouvernementaux et de milices, invitait « sincèrement », tous les écrivains, principalement ceux qui vivent en Irak, à « s’abstenir d’écrire sous leurs vrais noms dans Kitabat et d’utiliser un pseudonyme de leur choix, afin de préserver leur vie et leur sécurité. Nous respectons également tous les noms qui ont renié leurs précédents écrits par souci de se préserver et de préserver leurs vies et celles des leurs… ». Cette invitation au pseudonyme, précise le site, « restera affichée jusqu’au jeudi 25 septembre 2009, en vous remerciant de votre attention et de votre réponse ». Les écrivains concernés pourraient se consoler en se disant qu’ils vont créer des nouveaux noms, libérés des obligations attachés à la réputation bonne ou mauvaise du vrai. Qui sait, ces pseudonymes de la survie leur permettront, peut-être, de dépasser les alignements sectaires qui sont devenues une réalité dans l’Irak sous la botte des américains. Il reste que Kitabat a eu raison mettre en évidence la menace et de suggérer à ses écrivains de se trouver des noms de substitution. En Irak, on meurt facilement… Dans l’effet de « masse » de la guerre, personne ne s’est vraiment intéressé, au cours de la première année d’occupation, à la longue série de scientifiques irakiens de haut-niveau qui ont été assassinés… Rien, aujourd’hui, ne permet de dire que le gouvernement est en mesure d’éviter une épidémie de meurtres parmi les écrivains de Kitabat… Les irakiens gardent cependant le sens de l’humour. Noir, certes, mais de l’humour. Très explosif. « Si tu mets la djellaba, le kurde te tues… Si tu mets le saroual, l’arabe te tues. Si tu mets la tenue gouvernementale, la résistance te tue… Si tu t’habilles en civil, la milice te tues… Si tu t’habilles de rien, le froid te tue… Que Dieu aide les irakiens ».
http://www.kitabat.com/
jeudi 11 septembre 2008
Le Grand Chien
Avec toute une nation de téléspectateurs renonçant au zapping pour s’installer devant l’ENTV. Ah, ce délicieux suspense ! Cette soirée pieuse, entrecoupée de pubs chorbas, on ne peut pas ne pas l’aimer, on ne peut pas la rater. Même si c’est du déjà-vu et du déjà-entendu, on sacrifie à la tradition. C’est ainsi que commence la plongée en léthargie, c’est ainsi que commence le saut des prix, c’est ainsi que commence les achats pour la grande bouffe dont on jettera une bonne partie. Et ne voilà-t-il pas que ces gus de Sirius se piquent de nous priver du seul suspense cathodique que nous offre l’ENTV ? Vraiment, ils ne sont pas gentils et pourtant ce sont des constantinois…
Justement, ce sont des constantinois, ces gens de Sirius. Je les imagine grands connaisseurs de Ben Badis, non pas l’icône un peu fossilisée que les vénérables messieurs entretiennent, mais le partisan de savoir, le pourfendeur des charlatans, le réformateur…
Vraiment, ces drôles de constantinois, je les aime, sans les connaître. Ils sont jovialement à contrecourant des habitudes – là où la science se ruinerait – en scrutant le ciel, non pas à l’œil nu, mais avec des instruments et des algorithmes.
J’aime aussi leur manière de prendre les devants et de dire leur mot sans en avoir l’air plusieurs jours avant l’inévitable controverse qui suivra le dénouement du suspense annuel. Tant pis si certains les croient animés de vilaines intentions rationalistes. Ils n’y pourront rien contre cela, même si la terre n’est pas plate et qu’elle tourne. Car, vous le savez bien, en ces temps où les voyages dans le Cosmos sont devenus d’une affligeante banalité, dans l’aire musulmane, rien n’est plus idéologique qu’une lune à la veille du grand sommeil diurne du ramadhan, de ses grandes libations nocturnes, de ses coup de sang absurdes.
Ahmed Selmane
Gustav à Alger
Les images que l’on voyait sur les chaînes de télévision devenaient, soudain, plus parlantes. On perdait cette attitude distante des téléspectateurs observant un évènement spectaculaire. On pensait à notre amie, à sa petite inquiétude qui s’exprimait discrètement dans ses phrases. On l’imaginait dans sa maison, se serrant les dents, et attendant le passage de la bourrasque. On se serrait presque les dents. On zappait. On a passé la demi-heure d’attente de l’Ouragan avec nos amis de là-bas. On attendait les effets du passage. Et l’on a été heureux de lire, après le passage de l’ouragan, un « tout va bien, je crois qu'on a bien fait de ne pas partir ».
Ah, bien sur, ils ont soufferts de la chaleur – et nous aussi et pour de vrai – « mais tout s’est finalement bien passé ». « C’était fascinant de regarder Gustave s'abattre sur la ville. On n'a pas vraiment eu peur. On savait qu'il avait beaucoup perdu de sa force. On est resté sans électricité pendant quatre jours, pratiquement enfermes chez nous puisqu'il qu'il y avait le couvre-feu. On suivait ce qui se passait grâce à la radio. Cela aurait été très dur partir avec 1.9 millions de néo-orléanais sur les routes, en quête de chambres d'hôtels et de nourriture! Surtout avec le ramadhan pour nous ». Saha Ftourkoum à News Orléans.
Ahmed Selmane
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Se promener dans l’impossible
Notre Chine d’ici et demain
mardi 5 août 2008
Le Tarzan des arabes en v.o
jeudi 31 juillet 2008
Solitude de vieux
jeudi 24 juillet 2008
La « ligne »
Ahmed Selmane
mardi 15 juillet 2008
Un acte manqué réussi
Ahmed Selmane
Existence subsidiaire
Et puis réfléchir est si douloureux, prendre de la distance si difficile. On fait donc comme les autres, on roule, jusqu'à ce qu'une amie ou un ami revient de lieux où les choses sont à peu près vraiment normales… On marque un temps d'arrêt, on se gratte la tête… C'est perturbant…
Ensuite, comme les choses doivent quand même se faire malgré notre « normal », on les fait… Normal, n'est-ce pas ? Khedidja sait pourtant que ce n'est pas le cas. Elle me montre sa carte d'identité délivrée par un consulat algérien aux States où elle se trouve avec son mari. Ils sont tous deux universitaires, tous deux travaillent. Et pourtant sa carte à elle porte la mention « subsidiaire ». Elle n'a donc pas d'existence, elle n'est qu'un appendice. Elle ne serait, administrativement parlant, qu'une existence collatérale à celle de son conjoint. Notre administration connaît donc ses classiques, Eve est sortie de la cote d'Adam, donc…Normal… On respecte les écritures, nous ! Khedidja est repartie. On se gratte la tête encore une fois. Puis on se demande quelle mention donne notre Administration aux femmes célibataires qui vivent à l'étranger ? De qui diable seraient-elles les résidentes subsidiaires ? A sa prochaine visite, Khedidja, me le dira peut-être ?
Ahmed Selmane
vendredi 4 juillet 2008
Un ange est passé
Le bus s’amusait enfin. A chacune de ses réparties, un frisson de rire parcourait la tribu fatiguée des voyageurs. Le receveur qui, de mauvaise grâce, n’avait encaissé qu’une demi-place pour la petite fille – 5 dinars au lieu de 10 – ne faisait pas partie des rieurs.
A sa mine renfrognée, on devinait que sa plus grande envie était de prendre ce petit bout de fillette et de le balancer par la fenêtre.
La petite fille a senti ses ondes négatives. Elle lui a rendu la pareille en lui infligeant une torture douce. A chaque fois, que son regard croisait le sien, elle s’écriait : « j’ai payé ma place ! ». Le receveur, battait alors prudemment en retraite. « Mais je n’ai rien dit ! », disait-il. Il détournait alors son regard en maugréant. Le bus s’amusait encore plus et frisait le fou-rire global.
Une dame, pour faire de la conversation, s’est mise à la complimenter pour sur sa robe et lui a demandé si elle voulait la lui prêter. « Et moi, tu veux que je rentre nue à la maison ? ». Rire…
A un arrêt, une autre dame monte et la regarde pesamment. La jeune fille soutient le regard. Et quand la dame se met à regarder sa tante avec un visible air de reproche, elle relance « J’ai payé ma place, j’ai payé ma place !».
Les rires contraignent la nouvelle arrivante à ne pas livrer bataille. Sans doute, a-t-elle pensé qu’avec Manale, c’est son nom, la partie était perdue d’avance. On ne gagne pas avec une petite fille devenue, par sa volonté d’avoir sa place, la grande star du bus. A une autre station, deux jumelles montent. La petite fille les regarde, sa tante lui explique. Elle n’est pas convaincue. Elle se met à traquer les différences entre les deux et elle en trouve suffisamment pour qu’elle décrète « qu’elles ne sont pas les mêmes ». Un jeune adolescent lui a proposé ses écouteurs. Elle lui a demandé ce qu’il écoutait. Des chansons, bien sur ! Réponse ferme : « je n’écoute que le Coran. Peu inspiré, Il a rétorqué : « pourquoi tu ne mets pas le Hidjab alors ? ».
La jeune fille lui décoche un regard glacé et tous le monde, même l’ado aux écouteurs, a compris le message : « De quoi je me mêle ! ». Une femme d’un âge avancée est montée. Elle a regardé la petite qui redit qu’elle a payé sa place. La vieille a négocié. Elle était prête à lui racheter sa place. Devant tant d’insistance, elle finit pas céder. Elle est passée sur les genoux de sa tante. La vielle femme sort une pièce, la tante a refusé catégoriquement. Pas question qu’elle prenne de l’argent. « Avec ce qui se passe, vous savez, il ne faut pas qu’elle prenne de mauvaise habitudes ».
Le réel, le méchant réel, a commencé à revenir. La petite fille et sa tante sont descendues avant Bord-El-Kiffan.
Pendant une portion de la route, les voyageurs sont restés sous le charme de la petite fille qui voulait sa place.
Puis, le charme s’en alla. On a redécouvert le silence, les mauvaises odeurs des corps de l’été, les regards fuyants et l’énorme fatigue. Même le receveur qui avait si peu aimé la petite fille avait compris qu’un ange était passé.
dimanche 22 juin 2008
La dame timbrée
Elle est vieille et seule, son mari est mort depuis longtemps à la guerre. Elle a travaillé dur son lopin de terre, elle a entretenu son petit troupeau. Elle s’est privée de tout. Elle a économisé ses sous. Pour «laâquouba », pour cet âge triste où elle ne compterait plus sur ses bras vaillants. Son lopin, elle a du le quitter plus tôt que prévu, en raison des « évènements ». Elle a vendu ses vaches et ses moutons. Et puis, elle a découvert qu’elle n’avait pas où aller. Surtout pas chez sa sœur. Elle a déjà beaucoup à faire avec ses enfants. Elle s’est mise en tête d’acheter une maison. Mais, pensait-elle, cela ne résoudrait pas mes problèmes de vieille femme. Alors, des gens, bien intentionnés s’entend, lui ont susurré une idée lumineuse. Pourquoi ne marierait-elle pas une de ses nièces avec un gaillard qui emménagerait chez elle et comme ça, elle serait « protégée ». L’idée ne lui sembla pas mauvaise. Ensuite, on lui suggéra de ne pas trop se casser sa tête de vieille femme avec les papiers, elle n’avait qu’à acheter la maison en l’enregistrant directement au nom de celui qui convolera avec sa nièce. Elle avait hésité, mais autour d’elle, tout le monde trouvait la chose normale. Elle n’a pas voulu demander conseil à sa sœur qui a déjà suffisamment de problème avec ses enfants. Alors, elle a donné l’argent, les économies de toute une vie de labeur, et la maison fut enregistrée, sur « papier timbré » au nom du brave gaillard. La vieille était sans protection et elle le sut très vite. « Sa » maison qui n’était pas la sienne sur papier timbré devint un enfer. Le « gaillard » cherchait à la faire déguerpir. Il était le « propriétaire » et il écrasait de sa morgue cette vieille chose. La vieille se résigna enfin à en parler à sa sœur qui n’en revenait pas de tant de candeur et de tant de « djyaha ». Elle délégua d’autorité sa grande fille pour saisir un avocat et annuler cette tromperie. Commencèrent alors les rendez-vous chez les avocats et les tribunaux. Celui qui a vendu la maison est passé, il a dit que c’est la vieille qui a donné l’argent. Mais il y avait ce papier timbré, à la validité juridique douteuse, qui faisait du gaillard le propriétaire. L’affaire traine d’une instance à l’autre et la vie dans « sa » maison devient plus infernale. « J’ai acheté l’amertume avec mon argent » dit la vieille qui s’est mise à aller régulièrement chez sa sœur pour se reposer. Dernièrement, des policiers sont venus la chercher dans cette maison qui n’est pas la sienne en vertu de ce misérable papier timbré. Ils ont laissé une convocation. Elle était affolée, la vieille, elle n’a pas l’habitude d’avoir des relations avec la police. Sa nièce est allée, pour elle, au commissariat. On lui expliqua que c’est pour l’affaire de la maison et qu’elle avait 20 jours pour faire un recours devant la cour suprême sinon son affaire serait considérée comme close. Elle ne sait que faire la vieille. Lorsqu’elle est passée devant le juge, la dernière fois, celui-ci lui a laissé entendre que la loi ne protège pas les imbéciles. Elle a avalé cela, la vieille, mais elle en a été blessée. Profondément. Puis, sa tête « d’imbécile » s’est mise à fonctionner. Et elle a posé sa question : « Si la loi ne protège pas les imbéciles, qui donc les protègera ? ». Elle n’a pas eu de réponse…
mercredi 11 juin 2008
C'est une chèvre même si elle vole… au dessus de Rue 89!
Par Ahmed Selmane
Rue 89 est un site intéressant. Il fait partie de ces nouveaux médias créés sur la toile par des journalistes déçus par la presse conventionnelle. Dans le cas d'espèce, Rue 89, est fait par des anciens journalistes de Libération. Pourquoi en parler ? Mais parce que justement, Rue 89, parle d'Algérie News et d'Al Djazaïr News et croit déceler, en mettant en avant le choix des titres différents faits par les deux journaux, de l'interview de Mme Fadela Amara, une manoeuvre. Pourquoi une rédaction arabophone choisi de mettre en exergue l'aspect mémoriel alors que la francophone regarde du coté de l'UPM (Union pour la méditerranée) ? Cela aurait pu être l'objet d'une lecture intéressante. Mais nos valeureux confrères se sont arrêtés aux deux titres pour accuser – c'est le mot, n'est ce pas camarade ? – Al Djazaïr News d'avoir « piégé » Fadela Amara et de « tailler ses propos sur mesure en fonction du public ». Comme nos camarades de Rue 89 étaient pressés de conclure, ils n'ont pas lu l'ensemble du texte en français. Et donc ils n'ont pas vu que la phrase qui semblait si gravissime, était bien là, dans le texte, identique à celle qui est dans Al Djazaïr News. «Personnellement, je ne suis ni pour l'oubli ni pour la repentance. Je souhaite que
Pierre Haski, ajoute sous une forme faussement interrogative, que « peut-être était-ce le but de la manœuvre, au moins faire monter les enchères. Fadela Amara aura ainsi été la victime de ce jeu classique entre Paris et Alger ». On n'en voudra pas à Rue 89, politiquement engagé, de chercher la petite bête à Mme Fadela Amara et de la mettre en porte-à-faux avec Nicholas Sarkozy. C'est un jeu permis. Mais avouons-le, on est quand même froissés par l'idée sommaire implicite de Rue 89 qui voudrait que des journalistes à Alger soient nécessairement des gens douteux entrain de concocter des coups avec des sombres officines. C'est un gros cliché. J'ai appelé M. Pierre Haski au téléphone pour lui signaler qu'il fait une lecture sur une non lecture. Et que la phrase litigieuse qui permet sa construction figure à l'identique dans les versions arabe et française. Et que chaque rédaction peut se permettre de mettre en avant un titre ou thème sans qu'elle ne soit animée par des sombres intentions. L'échange a été courtois. On lui a signalé comment il peut lire la version intégrale de l'interview sur le site d'Algérie News.
Sur le site de Rue 89, une dizaine de minute plus tard on pouvait lire ceci :
« ► Mise à jour 10/6/2008 à 13h00: la rédaction d'Algérie News nous fait remarquer que la phrase incriminée sur les "exactions" figure également dans l'interview en français, mais n'a simplement pas été mise en avant comme dans l'édition en arabe. Dont acte pour le texte, mais pas pour le titre ».
J'avoue que je ne comprends rien à ce « dont acte pour le texte, mais pas pour le titre ». Rue 89 qui semble connaître l'arabe est apparemment l'adepte de la formule algérienne qui désigne l'entêtement absurde : « Maaza Wa lou Taret ». Allez, on traduit pour nos confrères pour éviter une nouvelle mauvaise lecture : « ceci est une chèvre, même si elle vole ! »
jeudi 5 juin 2008
La Femme de tête et le cheikh
« Dès le début, il m’a énervée ce « cheikh » ! Il m’a demandé de mettre un foulard sur ma tête. Je me suis tout de suite braquée mais je n’ai pas hurlé. Je suis polie moi, j’ai été bien élevée. J’ai juste dit que j’étais chez moi et que je ne mettrais pas un foulard. Il était venu chez moi, soi-disant pour me convaincre de laisser mon fils, ce taré qui me fait monter la tension, ramener sa seconde femme chez moi. Il me l’avait déjà demandé et j’ai été catégorique : j’héberge déjà sa première femme et leurs deux enfants et il n’est pas question que j’accepte de m’occuper d’une seconde femme, pour son plaisir. Et d’ailleurs, sa première femme, est une personne charmante, elle est belle et rien ne lui manque…Pourquoi a-t-il décidé de prendre une autre femme ? S’il veut s’amuser, qu’il se débrouille. J’avais mis fin à la discussion. Tant que je suis vivante, je ne veux pas d’une autre femme chez-moi. Et le voilà qui me ramène un « cheikh », pas plus haut que trois pommes, emmailloté dans une tunique blanche de la tête au pied, avec sa barbe teinte au henné, pour me convaincre, moi la « hadja » de ne pas « empêcher ce que Dieu a autorisé ».
Là, je ne me suis pas laissée impressionner. J’ai dit que Dieu a en effet autorisé « à condition » que le mari traite ses femmes de manière juste. Si mon fils n’est pas capable d’avoir son propre logement comment voudrait-il, lui le « Savant », qu’il puisse être juste ? On a parlé en long et large. Le cheikh a vu que je ne m’en laissais pas compter par l’argument de la charia alors il s’est mis à parler, des « besoins de l’homme ». Je lui ai ri au nez… Est-ce qu’il croit que les femmes n’ont pas de besoins, comme il dit ? Je lui ai dit que le premier devoir d’un homme est de répondre aux besoins de sa famille et de ses enfants. Or, mon taré de fils, qui veut prendre une seconde épouse, ne le fait pas. C’est moi qui m’en occupe de sa femme et ses enfants, est-ce qu’il pense que le bon Dieu est d’accord avec ça ? Est-ce que la charia est d’accord, Ya sidi echeikh ? Bien sûr, il n’a pas répondu. Il s’est mis à dire que mon attitude n’était pas « naturelle » et qu’une mère doit « aider son fils »… Là, vraiment, j’ai commencé à bouillonner. Qu’est-ce qu’il croit, donc ! Ce garçon qui me ramène un étranger pour me convaincre de le laisser gérer ses instincts, j’ai essuyé son derrière et nettoyé sa morve, je l’ai fait grandir, il n’a jamais manqué de rien… J’ai assez donné, monsieur le cheikh, c’est un égoïste fini qui n’a pas le moindre égard pour sa mère qui à 65 ans et qui s’occupe déjà de son engeance… S’il veut une autre femme, libre à lui, mais pas chez moi ! Mais on aurait dit qu’il ne m’écoutait pas. Il a continue à insister et moi je sentais monter en moi une colère, oulala, je te dis pas… Et ce cheikh-savant n’arrêtait pas de débiter des sornettes : tout y est passé, mon devoir envers mon fils, mon cœur qui serait de pierre, mon fils que je risquais de perdre à jamais… Il a même dit qu’en se mariant à nouveau, mon fils, sauvait une femme et que cela lui serait compté pour le paradis. J’ai répondu qu’il ne devait pas espérer aller au paradis sur mon dos… J’ai cessé de lui donner du « Ya Cheikh » mais il ne s’en est pas rendu compte. Ils ne se rendent pas compte, les hommes. A un moment, j’en ai eu définitivement marre et je lui ai dit « et maintenant, tu ne veux pas aller te faire voir chez les grecs ? »
Par pudeur, le chroniqueur s’abstient de rapporter les termes exacts utilisés par la vieille dame. Mais, d’après le récit, ponctué de rire, d’Al-Hadja, le « Cheikh », est devenu tout blanc, il a relevé les pans de son qamis immaculé et a détalé comme un lapin.
jeudi 22 mai 2008
Scène de la vie ordinaire
samedi 17 mai 2008
Les modérés, les radicaux et la Nakba selon G.W. Bush …
Les modérés, les radicaux et
Par Saïd Mekki
Que s’est-il passé le jour de la commémoration du soixantième anniversaire de
Sur un ton pastoral, inaugurant un rôle de prédicateur habité, entre exaltation et illumination, le président américain a aussi livré sa vision du futur régional. A une sérieuse exception près – Israël, démocratie dominante – qui ne souscrirait au tableau idéal du Moyen-Orient dans soixante ans dépeint par George W. Bush devant
Les bons et les mauvais
Dans leur représentation tragique de l’univers, les faucons américains divisent les arabes en deux catégorie : la mauvaise, celle des « radicaux » et la bonne, celle des « modérés ». Ceux qui suivent les instructions de Washington sont bien sur les modérés…Mais que signifie cette modération médiatiquement honorée quand les palestiniens se font massacrer, quand Gaza est affamée, en permanence bombardée, quand même la proposition de paix du Roi Abdallah entérinée par le sommet de Beyrouth est accueillie avec dédain ? Les modérés qui n’apprécient pas vraiment les trublions « radicaux » ont eu le temps de tirer le bilan de leurs concessions et de constater que plus leurs offres tendent vers l’abandon pur et simple, plus elles sont ignorées par les américains. En bonne logique, ces dirigeants devraient constater que la « modération » n’a pas donné de résultat et devraient au moins s’abstenir de dénoncer la résistance faute d’avoir le courage de la soutenir. Le nouveau Moyen-Orient modéré de Madame Rice et des neocons est un Moyen-Orient israélien fragmenté et subalterne, dans lequel les palestiniens devront se résoudre à vivre dans des bantoustans, tandis que leurs frères de l’exil devront faire le deuil sans rémission de leur droit au retour, pourtant reconnu par les résolutions de l’Onu. Le camp de la « modération » figé dans cette impasse, mais, intériorisant l’échec, n’en déduit pas rationnellement que la résistance est non seulement légitime mais est nécessaire et doit être soutenue. En l’espèce, ce défaitisme assumé est l’expression politique accomplie de l’absence de volonté autonome. Ainsi, les palestiniens sont seuls en effet. Si hier encore, le monde bipolaire obligeait à un soutien minimal du combat des palestiniens, aujourd’hui, les régimes voient d’un très mauvais œil la résistance, par trop synonyme de contestation du désordre établi, et s’en remettent totalement aux Etats-Unis. Lesquels sous influence sioniste-chrétienne et néoconservatrice sont plus que jamais alignés sur les intégristes israéliens. Autrement dit, les Etats-Unis souhaitent imposer leur vision idéologique du monde par tous les moyens, et d’abord par la force brute. Quelle est donc cette puissance dont l’action ne se fonde pas sur le droit mais sur des représentations théologiques ? Que reste-t-il du magistère moral qu’elle prétend incarner?
Modération et soumission
Le Président Bush, après avoir adopté une posture prophétique en Israël, s’est rendu en Arabie saoudite pour parler, semble-t-il, de la menace iranienne, de la montée des périls perse et chiite. D’augustes cénacles arabes très modérés écouteront attentivement le président américain défendre la nécessité d’une nouvelle guerre pendant qu’Israël tue tranquillement des palestiniens. Mais les cauchemars des potentats ne sont pas ceux de leurs peuples, loin s’en faut : la résistance victorieuse du Hizbollah de l’été
mercredi 14 mai 2008
Saison de la migration vers n'importe où
Saison de la migration vers n'importe où
Par Ahmed Selmane
« Nous quittons la ville pour la laisser aux policiers ». Les habitants de Redeyef, en Tunisie, en colère après la mort par électrocution d'un jeune gréviste, ont failli mettre en application cette intention coupable. Beaucoup d'entre eux, excédés, ont pris leur baluchon et entrepris d'aller vers un ailleurs non identifié, vers un autre nulle part, sans trop de policiers espéraient-ils. Sagement, les membres du comité de grève qui dirigent le mouvement de contestation dans les bassins miniers de Gafsa leur ont demandé de renoncer à cette initiative migratoire. La trouvaille était géniale, inattendue, mais troublante et par trop radicale. Et peut-être plus contagieuse que la grève et l'émeute. Ne plus se battre avec des pouvoirs autistes, ne plus offrir des têtes trop dures à la matraque, ne plus entendre la voix éraillée du représentant officiel chanter la joie de vivre sous la direction éclairée du Grand Leader local, laisser la ville aux bénéficiaires de l'ordre absurde en attendant de leur laisser le pays, et partir… N' importe où. Quel programme subversif ! Les régimes s'accommodent de l'émigration clandestine - la harga - car elle est fondamentalement – mais pour combien de temps ? - un acte personnel, un mouvement solitaire même si pour des raisons pratiques on s'entasse à plusieurs dans la même douteuse embarcation. Mais ces citoyens de Redeyef sont tellement inventifs – une créativité visiblement stimulée par l'exaspération – qu'ils ont décidé de la collectiviser. Les syndicalistes qui activent dans la perspective de la satisfaction de quelques revendications élémentaires ont réagi vivement. On les comprend… Non seulement ils risquaient de voir disparaître leur base sociale mais ils pouvaient de surcroit être accusés d'incitation au vagabondage de masse ou à l'émigration clandestine. Mais la décision inaccomplie des habitants de Redeyef risque de marquer une étape inédite dans les luttes sociales au sud du monde. Face au verrouillage généralisé et à la conception très particulière de la démocratie, que reste-t-il comme moyen d'exprimer ses désaccords, par quel moyen pourrait on faire valoir ses arguments ? La violence étant un choix par définition écarté et l'option politique par essence impossible, il ne reste que la soumission à l'ordre établi et la résignation, silencieuse de préférence, sporadiquement entrecoupée d'émeutes. Les jeunes qui n'ont qu'une mémoire dubitative des actions collectives, ont, pour les plus désespérés d'entre eux, choisis de mettre les voiles par tous les moyens possibles. Chacun pour soi et vogue la galère ou plutôt la coquille de noix, le radeau amélioré ou la barcasse disjointe. On le sait, pour beaucoup l'aventure finit tragiquement dans les abysses glacés d'une méditerranée sur la voie de l'union, parait-il. Mais au sud, la situation n'évoluant guère, la pression démographique aidant, il y a fort à parier que la harga artisanale et individuelle cédera la place un beau matin à des voyages bien plus organisés. Des quartiers, des villages et - pourquoi pas ? - un jour des villes entières embarqueront vers n'importe quel ailleurs mythifié pourvu d'échapper à la perspective perpétuelle d'une réalité matraqueuse. Les peuples changeront d'air et les régimes seront satisfaits d'être débarrassés de leurs rétives populaces. Reste à voir comment ces transhumances seront accueillies par l'ailleurs imaginé …
- Celui que la passion de vivre n'a pas étreint
S'évapore dans l'air de cette vie et disparaît.
- Malheur à celui qui n'est pas passionné par l'existence
Il sera frappé par le néant vainqueur.
C'était un autre tunisien, le grand Abû al-Qâsim al-Châbbî, qui a écrit ses vers. Il parlait d'une autre Tunisie, celle où les hommes ne prennent pas leur baluchon pour aller sur les chemins de la désespérance, vers ailleurs et n'importe où.
14 mai 2008
Le trou noir
Le trou noir
Par Ahmed Selmane
Comment se renouvellent les élites politiques ? Par la démocratie, bien sur. Qu’est-ce que la démocratie ? C’est l’existence d’une scène politique ouverte et pluraliste où les électeurs se chargent, à partir de leurs besoins et de leurs convictions, d’arbitrer librement par les élections entre des partis, des hommes et des programmes en concurrence dans l’accès au pouvoir. C’est cette concurrence qui favorise la circulation des élites. Il n’existe pas de « tare » culturelle algérienne – ou arabe et africaine – qui expliquerait l’absence de circulation des élites politiques. Ce n’est pas une question d’âge, c’est une question de système. Les démocraties non « spécifiques » fonctionnent sur le principe que les acteurs politiques sont comptables de leurs actions et leur mandat est régulièrement mis en jeu. Elles sont constamment en « crise » dans le meilleur du sens du terme : l’existence d’un arbitrage populaire, d’une opinion publique et de médias diversifiés fait que le changement des hommes et des idées est une donnée permanente. Les structures politiques, pouvoir comme opposition, sont dans l’obligation d’aller vers les citoyens arbitres. Un système démocratique s’énonce, par principe, comme imparfait. Le changement est au cœur de la vie démocratique, la « conservation » est au cœur du système autoritaire ou des démocraties spécifiques. Le système politique qui s’organise sur le principe de la conservation et du refus du changement se prive des flux qui viennent de la société et évolue vers une dégénérescence. Le « relifting » qui élève des bureaucrates, par cooptation, au statut d’hommes politiques de substitution n’est pas une solution au problème car il est destiné à prolonger le système et non à le changer.
Pathologie du système
A partir de ces constats basiques – et avérés dans l’histoire des systèmes politiques – il y aurait une certaine incongruité à se lamenter sur l’absence d’une « classe politique » ou d’un « changement des élites politiques » alors que ce qui permet l’existence d’une classe politique et de son renouvellement n’existe pas. Abdelhamid Mehri le constatait récemment dans un entretien au journal l’Expression : « Le pouvoir actuel, en tant que système de gouvernement, a fait son temps. Son architecture et son fonctionnement tendent à éviter ou limiter la démocratie et non à la construire ». Officiellement, l’Algérie est dotée d’une multitude de partis et de journaux et des élections y sont organisées régulièrement. Mais le fait que cela ne génère pas un renouvellement dans les idées et les hommes relève d’une pathologie du système. Des hommes politiques et des militants politiques de grande qualité existent en Algérie mais leur émergence est une quasi-impossibilité dans un système entièrement tendu vers la conservation et sa perpétuation. Il y a une question démocratique non résolue qui rend illusoire l’émergence de nouvelles élites politiques de qualité. Le niveau d’abstention lors des élections est un indicateur : de très nombreux algériens n’accordent aucune crédibilité au jeu politique actuel et à ses acteurs. L’absence d’une scène politique démocratique fige les choses aussi bien au niveau des institutions élues qu’au sein des partis politiques. « La sphère politique et son principal outil, l’information, sont soumis, en Algérie, depuis des décennies, à une gestion administrative d’autant plus pesante qu’elle est occulte et donc non responsable » explique M.Abdelhamid Mehri qui souligne que « le champ politique est jonché de victimes consentantes ou résignées. Les militants des partis politiques et des organisations sociales connaissent parfaitement cet état de choses. Ils constatent, désarmés, que la sphère politique est réduite, en dépit des qualités et des mérites des hommes qui s’y activent, à fonctionner comme un produit dérivé de la gestion administrative et non comme émanation de la dynamique sociale ». Dans un modèle classique en sciences politique David Easton, présente le système politique comme une boite noire qui reçoit des demandes (input) de l’environnement (la société) et les traduits en action (ouput). C’est la démocratie qui permet au système de fonctionner car il en permanence solliciter par la société à changer, à s’adapter et à se renouveler. Dans un système fermé, la boite noire devient un trou noir où les demandes de la société se perdent… A un certain niveau de dégénérescence, la société renonce à s’adresser à la boite noire… Elle s’exprime en dehors du système, par l’émeute par exemple…
Mandouze est parmi nous
Mandouze est parmi nous
Par Ahmed Selmane
La bibliothèque augustinienne d’André Mandouze est à Alger. Elle a été inaugurée lundi au centre d’études diocésain en présence de ses deux filles et de nombreux algériens, musulmans, chrétiens ou agnostiques. Les chercheurs algériens qui s’intéressent à Saint Augustin pourront désormais consulter une bibliothèque patiemment construite durant des décennies par un maître qui a, par delà la mort, décidé qu’il voyagerait encore en Algérie, parmi les algériens. En ces temps stupides où des canards en mal de thèmes persistent à inventer des guerres aux motivations obscures, André Mandouze est, par ce qu’il a été et par ce qu’il est encore, un prodigieux rappel pour les croyants et les incroyants. Cet homme de
Mandouze l’augustinien, donc l’algérien, est revenu à Alger. Il a été une opportunité pour de nombreux algériens d’exprimer leur solidarité à ces chrétiens d’Algérie, qui sont dans le droit fil de l’engagement d’un Mandouze ou d’un Duval, qui vivent leur foi dans l’engagement social et dans le partage. A ces chrétiens, que des musulmans humbles connaissent beaucoup mieux que les scribes qui radotent sur les complots imaginaires, Mandouze, nous a donné l’opportunité de leur dire qu’ils sont bien nos frères.
Des siècles de bouches cousues
C’était en 2002, un an avant que la « Civilisation » ne débarque en Irak. Il faisait très chaud à Baghdâd et nous déambulions dans la rue Al-Moutanabi, au milieu des étals de livres et d’une foule de lecteurs en goguette. La planète n’était plus bipolaire, elle était déjà nettement binaire : blanc ou noir, avec Bush ou contre lui. Pour notre ami H. qui n’aimait ni Bush, ni Saddam, le monde était devenu encore plus petit. Grâce à son entregent, nous avions pu, à la barbe des officiels, partir vers Najaf et Karballah et découvrir, des gens, simples et bons, qui se battaient contre l’adversité et qui regardaient parfois le ciel où, ils le soupçonnaient, se cachait une lourde menace.
A la veille de notre départ pour Alger, dans un café de la même rue Al Moutanabi, H m’a remis un petit livre, un vrai livre de poche de 15 cm sur 10, pratiquement fait à la main, avec une couverture jaune et un papier lui aussi déjà jauni. Il avait dit simplement : « voilà quelque chose qu’il faut lire ». Dans l’avion du retour, j’ai lu. Un nom inconnu pour moi, Abdel-Amir Jaras et des poèmes, courts et perturbants. « Je suis passé par des siècles de bouches cousues.». Les poètes ont cette capacité à trouver des raccourcis qui disent et troublent. Abdel-Amir Jaras, fils de solitude et d’amertume, n’a pas fini de me perturber.
Un de ses poèmes me hante toujours, il parle pour nous, de nos communes fragilités, intrinsèques et presque ataviques.
«Nous nous sommes réveillés une fois
Et nous n'avons pas trouvé le pays.
Il nous a été dit :
Le pays a ramassé toutes ses affaires,
Il les a rassemblées arbre par arbre,
Fleuve par fleuve,
Et il est parti au loin.
Nombreux sont les pays
Qui ne trouvent pas de lieux
Nombreux sont les pays qui songent à fuir de la carte.»
Arbre par arbre, fleuve par fleuve. Homme par homme. Depuis, j’ai appris que Abdelamir Jaras avait erré de pays en pays, dans des conditions épouvantables, avant d’arriver au Canada et de mourir bêtement dans un accident de vélo. Il avait trouvé une terre vaste, neuve, mais l’arbre était, peut-être, déjà mort en s’arrachant à sa terre si inclémente…
Comme des millions d’irakiens, mon ami H, après avoir subi trois ans de Civilisation américaine aussi absurde que criminelle, s’en est finalement allé dans un lointain ailleurs. Il a eu le temps de faire la part des choses. Il ne déteste plus autant Saddam, il exècre davantage Bush. Un autre arbre est parti. De son exil européen, il est constamment connecté, par Internet, sur son pays. J’ai quelques inquiétudes pour lui. En effet, un irakien qui utilise un clavier arabe pour parler avec les arbres qui sont restés là-bas, c’est immédiatement suspect et cela pourrait lui valoir des ennuis. Les yeux vigilants de la Civilisation pourraient ne pas comprendre son entêtante nostalgie.
C’est H encore qui m’a signalé le nom d’un autre arbre irakien. Il se nomme Hassan Juma'a Awad. Il dirige l'union des syndicats des travailleurs du pétrole en Irak et se démène, comme un beau diable, contre la « loi sur le pétrole » approuvée par le gouvernement de la Zone verte.
Cette loi que les envahisseurs veulent faire adopter, c’est l’objet de la guerre, le butin ultime. L’arbre Hassan Juma’a Awad, dont le syndicat, né sous l'occupation américaine a pris une orientation de plus en plus patriotique dans un Irak poussé aux confrontations fratricides, est un perturbateur. Pensez donc, empêcher le vrai but de la guerre s’accomplir et dépasser les faux clivages, pour qui se prend-il, ce Juma’a ? Qui est-il donc pour oser aller contre les désirs impérieux de l’Empire et la soif de pouvoir des imbéciles et des félons? Un arbre. Un arbre, fragile, qui est resté et qui essaie de parler malgré les siècles de bouches cousues. En cette veille du 1er mai, je pense à ces arbres irakiens qui sont partis et à Juma’a qui se bat contre Goliath. C’est sur, des forêts repousseront en Irak…
Ahmed Selmane
Le Maghreb : cinquante ans d’attente
Le Maghreb : cinquante ans d’attente
Le Maghreb est en attente depuis, au moins, cinquante ans. La conférence de Tanger du 27 avril 1958 qui a regroupé les partis nationalistes maghrébins, l’Istiqlal marocain, le Néo-Destour tunisien et le FLN algérien, a donné un contenu à l’idéal maghrébin. Le journal Le Monde titrait : «
Le pari perdu de l’UMA
19 ans après cet évènement historique de Marrakech, l’Union Maghreb est moribonde, très loin de l’esprit visionnaire de Tanger. Le pari sur une dynamique maghrébine qui transcenderait le problème du Sahara Occidental est perdu. Le niveau des relations entre les deux plus grands Etats du Maghreb, l’Algérie et le Maroc, n’est pas même pas « normal ». La question du Sahara Occidental a été, coté marocain, un ferment du renouveau de la sainte alliance nationaliste autour de la monarchie. A quelques rares exceptions, comme le mouvement d’extrême gauche, les forces politiques marocaines ont de la récupération des « provinces du sud » une question nationale vitale. L’idée d’une séparation entre la question du Sahara Occidental et la construction de l’Union Maghreb s’est heurtée rapidement à l’approche marocaine. Les choses se dégraderont davantage en 1994 à la suite de l’accusation, infondée, lancée par le Maroc à l’encontre des services algériens au sujet de l’attentat de Marrakech. Le Maroc a instauré le visa pour les Algériens, l’Algérie a répondu par l’instauration du visa et la fermeture de la frontière terrestre.
Le coût du non-maghreb
Quand rien ne va entre les deux pays les peuplés du Maghreb, la machine ne peut que se bloquer. Il est devenu pratiquement impossible de réunir un Sommet de l’UMA, le dernier a eu lieu à Tunis les 2-3 avril 1994. Un sommet prévu en 2005 à Tripoli a été reporté à la dernière minute. Aujourd’hui, cinquante après, on ne peut que constater que les difficultés de la construction du Maghreb sont liées à celle de la démocratie. Alors que les pays maghrébins ont signé, dans la dispersion, des accords d’association avec l’Union Européenne, les échanges économiques entre maghrébins peinent à dépasser les 3% des échanges extérieurs de chacun des pays concernés. Des économistes ont fait des calculs sur le coût du non-maghreb : une perte de 1 à 2% de croissance par an pour chaque pays. Certains estiment que le manque de croissance atteint 3%. Pour avoir une idée de l’ampleur du manque, il faut savoir que 1% représente plus de 10 milliards de dollars de valeur ajoutée par les pays maghrébins.
Ahmed Selmane
27 avril 2008Karl Marx, le come back
Karl Marx, le come back
Depuis la chute du mur de Berlin et l’effondrement de l’URSS, les temps sont américains. Les idées aussi. Les idéologies sont mortes, nous a-t-on dit, et la fin de l’Histoire est au coin de la rue. L’ordre est accompli. Surtout n’invoquez pas ce dénuement du plus grand nombre qui fait la prospérité d’une arrogante minorité de nantis, vous passerez pour des inadaptés, des ringards. Exit Karl Marx, la lutte des classes, exit le rappel des réalités, vous n’êtes plus « in ». Un autre Karl, Rove pour le nommer, ancienne éminence grise de Bush, a énoncé la quintessence des temps présents : « lorsque nous agissons, nous créons notre propre réalité ». L’Empire, le marché et le capitalisme mondialisé l’ont emporté sur les citadelles du socialisme bureaucratique liberticide… C’est fini, y a plus rien à voir sur le marché de l’histoire. Le seul ennui est que la nouvelle réalité, c’est l’ancienne en plus noir.. Amplification accélérée des inégalités entre le nord et le sud de la planète, fracture sociale croissante dans les pays du nord, dégradation des équilibres écologiques et crise alimentaire internationale, conflits, famines… La magie d’un marché n’opère pas, la « main invisible » est une chimère et
N’en déplaise aux gourous de Wall-Street, l’Histoire est loin d’être achevée… De l’Amérique du sud à l’arc arabo-musulman en passant par l’Afrique - les prophètes de salles des marchés et leurs nouveaux philosophes propagandistes ne l’ont pas prévu – Marx, que l’on pensait irrémédiablement ruiné par les méfaits des apparatchiks et de leurs épigones, se trouve des héritiers inattendus.
Ahmed Selmane
23 avril 2008
PROMESSES D’AVRIL
PROMESSES D’AVRIL
Est-ce parce qu’il est plein de promesses que le mois d’avril commence toujours par un gros poisson ? Si vous êtes nés le 27 avril en l’an IV de la révolution algérienne, que vous-vous sentez déjà fourbu sans être peinard, c’est que vous avez la cinquantaine mauvaise, avec ses tonnes de dépits, le lumbago qui pointe et le corps qui bedonne. Vous regardez peut-être les jours passer avec cette molle vigilance qui vous pousse, non plus à espérer, mais juste à vérifier que rien ne va comme prévu ; que les lendemains ont définitivement déchanté pour les quinquagénaires : ils ont, au mieux, une expertise à donner, mais en règle générale ils sont au service de gérontes. Ce qu’ils partagent avec les jeunes ? Juste, la mentalité harraga, le passage à l’acte en moins. Si vous cherchez, vous découvrirez que vous êtes né dix jours après le début de l’Exposition universelle de Bruxelles, évènement que beaucoup de belges s’apprêtent à en commémorer le souvenir. Vous pourriez dire que